Pendant près d'un quart de siècle, Oussama ben Laden a été l'étoile la plus brillante de la constellation Al-Qaïda. Mais son extinction ne signifie pas pour autant la disparition de la nébuleuse terroriste, aujourd'hui présente dans près de 60 pays.

«Pour Al-Qaïda, c'est un échec d'avoir perdu ben Laden, estime Henry Abib, professeur de sciences politiques à l'Université Concordia, mais ça ne veut pas dire que l'organisation va disparaître. Depuis 2001, Oussama ben Laden était surtout un chef symbolique» et n'était pas impliqué directement dans les opérations menées au nom de l'organisation. «Mais on ne peut pas sous-estimer l'importance des symboles», ajoute l'expert.

Au lendemain des attentats du 11 septembre, plus grand coup d'éclat d'Al-Qaïda, l'organisation a essuyé plusieurs revers. Des centaines de ses membres ont été tués, ses infrastructures ont été détruites et ses chefs, traqués par les forces américaines, ont dû opérer dans la clandestinité. Du coup, la nature d'Al-Qaïda s'est transformée.

«Le génie de ben Laden, c'est d'avoir créé une organisation qui peut fonctionner sans son centre», a expliqué à La Presse Olivier Roy, un des plus grands experts mondiaux de l'islamisme, lors d'une entrevue pour le neuvième anniversaire des attentats du 11 septembre. Les sections les plus en vue d'Al-Qaïda, dont celles du Yémen et de l'Afrique du Nord, agissent comme des franchises de la «marque» créée par ben Laden mais ont chacune leur direction. Ces groupes locaux s'inspirent du concept et des techniques qui font la signature d'Al-Qaïda, mais ils n'ont pas besoin de l'aval du chef suprême pour agir.

Au cours des dernières années, les experts ont d'ailleurs noté que si le djihad (la guerre sainte) contre l'Occident reste l'objectif principal d'Al-Qaïda, des différences idéologiques ont apparu au cours des ans entre les différentes factions du mouvement. La disparition du chef symbolique, seule figure rassembleuse de l'organisation, pourrait rendre cette nébuleuse terroriste encore plus nébuleuse, croit Mark Sedra, professeur de sciences politiques à l'Université de Waterloo et chercheur en matière de sécurité au Centre pour l'innovation en gouvernance internationale. «Les idées centrales du mouvement qu'incarnait ben Laden peuvent perdre du poids. On peut s'attendre à voir des groupes qui le composent se subdiviser encore», note l'expert.

Cette multiplicité du mouvement n'est pas rassurante. Il est notamment difficile de prévoir ce qui pourrait se passer au cours des prochains jours et des prochaines semaines. Un ou des groupuscules pourraient décider de venger la mort de ben Laden dans un geste d'éclat. Hier, les autorités américaines et de plusieurs pays occidentaux ont demandé à leurs citoyens de redoubler de vigilance. «Ben Laden sera vu comme un martyr et ça peut donner un certain élan aux groupes inspirés par Al-Qaïda, mais il ne faut pas oublier que cette organisation a subi beaucoup de pertes au cours des dernières années. Ce n'est plus l'Al-Qaïda de 2001», conclut Mark Sedra.