Créatures aux destins singuliers, les princes, duchesses, comtesses et barons de notre monde préservent leur image et leur pouvoir. Chaque semaine, la «presse du coeur» rapporte les sorties en famille de Mette-Marit et Haaikon de Norvège, les excès de Juan Carlos d'Espagne, les égarements du roi Charles XVI Gustave de Suède... Regard sur ce qu'il reste des monarchies européennes, réalité certes anachronique, mais aussi fenêtre sur l'histoire.

En février dernier, le prince Friso, deuxième fils de la reine Béatrix des Pays-Bas, a été victime d'une avalanche en Autriche. L'accident de ski a plongé le pauvre homme dans un état végétatif. «Pour les Néerlandais, c'est comme si un membre de la famille était malade», commente Estelle Bouthillier, au milieu de sa vaste bibliothèque consacrée à la monarchie. Ni historienne ni aristocrate, Mme Bouthillier, analyste à l'Université Concordia, cultive depuis quatre décennies une insatiable passion pour la royauté.

À 18 ans, sa curiosité a été piquée lors de la télédiffusion du mariage de la princesse Anne (l'unique fille d'Élisabeth II). Depuis, elle achète compulsivement tout ce qui concerne le gotha, de 1800 à nos jours, du catalogue Sotheby's où sont exposés les bijoux offerts par Édouard VIII à Wallis Simpson aux biographies d'Élisabeth II, en passant par l'incontournable périodique Point de vue.

«On connaît moins les autres monarchies d'Europe», dit cette redoutable gardienne de la mémoire monarchique avant de déplier sur le sol de son salon un arbre généalogique lourd en titres de noblesse. «Tout part de la reine Victoria. Presque tous ses enfants se sont mariés avec des princes héritiers d'Europe. Certains ont perdu leur trône à la suite des deux guerres mondiales. À part les royautés de Monaco et du Liechtenstein, tous les monarques d'Europe ont un lien de parenté avec la famille royale d'Angleterre.»

Drapeaux vivants

Un des ouvrages-clés de la bibliothèque d'Estelle Bouthillier est l'almanach de Gotha. Paru de 1740 à 1944, l'almanach était la «bible» des aristocrates désireux de marier leurs enfants. «Un prince prêt pour le mariage devait obligatoirement s'en tenir à la première partie. S'il tombait amoureux ou choisissait quelqu'un dans la partie 2 ou 3 de l'almanach de Gotha, il perdait tous ses droits.»

Les mariages arrangés appartiennent au passé et les princes d'aujourd'hui épousent des membres de la méritocratie. Certaines princesses décrochent des rôles dans des séries télévisées, comme Théodora de Grèce dans The Bold and the Beautiful) ou Macha Méril, dont le père était prince d'Ukraine, dans Lance et compte.

D'autres tentent leur chance dans la chanson, comme Stéphanie de Monaco. Parfois, leur histoire ressemble à un film hollywoodien: pensons par exemple à Mette-Marit de Norvège, cette blonde et angélique mère célibataire «sauvée» de l'univers glauque dans lequel elle frayait par le beau prince Haaikon...

Mais bien qu'elles soient descendues de leur piédestal, les têtes couronnées demeurent des figures emblématiques ou, à tout le moins, des membres actifs de la jet-set. Depuis 25 ans, Philippe Delorme couvre pour Point de vue «l'actualité heureuse des princesses» et les scandales moins reluisants de la monarchie.

Les années 80, avec l'entrée en scène de la princesse Diana et les frasques des princesses de Monaco, ont fait l'âge d'or de Point de vue. «Ça s'est un peu calmé. Quoique, avec le mariage de William et Katherine, l'année dernière a été très florissante», reconnaît le grand reporter.

Les habitants de plusieurs pays européens demeurent très attachés à leurs familles royales. Comment expliquer un tel phénomène? «Ces familles sont des sortes de «drapeaux vivants». Dans une Europe unifiée, c'est une façon de conserver l'âme du pays et de ne pas se fondre dans un moule commun. Et pour beaucoup de pays, ce système favorise une démocratie apaisée.»

De diadèmes et de mariages arrangés

«Chaque fois que je retourne en Belgique, je suis frappée par la hiérarchie sociale qui règle la vie de mes cousins», dit Clémence, Montréalaise d'origine belge dont le grand-père était baron. La jeune femme de 30 ans a demandé que son nom de famille ne soit pas divulgué «parce que, ici, les titres de noblesse sont vus comme une chose énorme».

De la note de remerciement rédigée dans un format protocolaire aux séjours dans de magnifiques châteaux en passant par les fastes mondains favorisant les rencontres entre jeunes gens de bonne famille, les coutumes de sa famille européenne l'ont toujours étonnée et amusée. «Le mari de ma cousine, par exemple, connaît bien le prince héritier du Luxembourg. À leur mariage, c'est lui qui était assis à la table d'honneur, à la droite de la mariée. Ils n'avaient pas le choix.»

«Il reste encore du sexisme, dans ce milieu. Et l'Opus Dei n'est jamais loin. En revanche, les filles sont toutes magnifiques, les gars sont beaux, et surtout, on apprend aux hommes à se comporter comme des princes charmants, ça fait partie de leur éducation. Ils savent comment vous mettre en valeur. C'est tout un contraste avec le jeune homme québécois.»

Quel avenir, pour ces héritiers d'un monde qui ressemblait jadis à Downton Abbey? Selon Philippe Delorme, leur triomphe appartient au passé. «La télé invente désormais des vedettes qui sont le contraire de personnes qui existent par des siècles d'histoire. Ils vont finir par se dissoudre dans le commun des mortels.»