C'est comme une scène de crime... à 1600 mètres de profondeur. Après avoir bataillé pendant trois mois, BP semble sur le point d'endiguer la fuite de pétrole dans le Golfe du Mexique. Désormais, les enquêteurs espèrent bien pouvoir récupérer au fond de l'eau des indices matériels sur les causes de l'explosion de la plate-forme Deepwater Horizon et la marée noire qui a suivi.

L'épave, y compris la valve de sécurité BOP défaillante et les restes noircis de la plate-forme pétrolière, pourrait constituer la principale pièce à conviction. Or, ce sont justement les compagnies visées par l'enquête qui vont être chargées de remonter ces éléments à la surface.

Les enquêtes sur la catastrophe ont commencé dès l'explosion meurtrière de la plate-forme le 20 avril dernier. Rien qu'au niveau fédéral, une dizaine sont en cours, dont plusieurs enquêtes parlementaires, des enquêtes pénales et civiles dirigées par le ministère de la Justice sans compter la commission d'experts réunie par Barack Obama. Les autorités veulent non seulement établir la cause de l'explosion mais aussi déterminer les moyens d'améliorer la sécurité des forages en haute mer.

De son côté, BP va sûrement vouloir examiner les éléments matériels, en particulier si le groupe pétrolier tente de rejeter la responsabilité de la catastrophe sur d'autres compagnies, comme Transocean, propriétaire de la plate-forme, Halliburton, qui a fourni l'équipe qui cimentait le puits, et Cameron International, qui a fabriqué le bloc obturateur de puits (BOP).

BP et Transocean, qui risquent de très lourdes amendes en cas de faute avérée, ont annoncé qu'ils tenteraient de relever une partie de l'épave si l'opération peut être réalisée sans endommager encore le puits de pétrole.

Le gouvernement fédéral a expliqué qu'il ne possédait tout simplement ni le savoir-faire technique ni l'équipement nécessaire, contrairement à l'industrie pétrolière. Et les autorités ont assuré que l'opération se déroulerait de toute façon sous la haute surveillance du corps des garde-côtes.

Il faut aussi compter sur tous les avocats qui s'apprêtent à réclamer des millions de dollars de dommages et intérêts pour les familles des 11 ouvriers tués lors de l'explosion, les dizaines de blessés et les milliers de personnes affectées par la marée noire.

«Je suis sûr que s'ils le pouvaient, ils tenteraient quelque chose même sous les yeux de leur propre mère», ironise Me Brent Coon, qui représente l'un des milliers de plaignants. «Mais le fait est qu'il va y avoir beaucoup de monde pour les surveiller et plein de scientifiques assez malins pour repérer s'ils font quoi que ce soit qu'ils ne sont pas censés faire».

Tout élément remonté à la surface sera photographié et préservé. Les enquêteurs fédéraux, BP et toutes les parties impliquées vont aussi devoir trouver des procédures d'analyse acceptables par tous.

La valve BOP sera probablement récupérée. Ce mécanisme de 300 tonnes est destiné à être placé sur un puits et ramené à la surface pour être réutilisé. C'était censé être l'ultime ligne de défense contre une fuite massive, mais les documents de BP obtenus par une commission parlementaire ont révélé que l'engin présentait une importante fuite hydraulique et une batterie faible voire morte.

«Cette pièce nous dira si le bloc obturateur de puits présentait un défaut de conception ou si c'est une erreur mécanique ou humaine qui a causé cette catastrophe», note Me Stephen Herman, un avocat de La Nouvelle-Orléans qui représente entre autres des ouvriers blessés de la plate-forme.

Le bloc obturateur est toujours attaché à la tête brisée du puits, mais il doit être remplacé dans le cadre des efforts pour sécuriser le puits de façon permanente, selon l'amiral des garde-côtes à la retraite Thad Allen, qui supervise le dossier pour le gouvernement fédéral.

Pour Me Coon, la plate-forme pourrait aussi contenir des sortes de «boîtes noires» qui ont enregistré des données cruciales et des panneaux de contrôle qui pourraient être retirés pour recréer les conditions ayant précédé l'explosion.

Transocean a demandé au gouvernement l'autorisation de tester la valve BOP et espère la voir remontée à la surface en septembre, selon le président de la compagnie Steven Newman.

L'accès aux restes de la plate-forme risque d'être plus difficile. Relever la structure entière ne serait pas pratique vu sa taille, deux fois celle d'un terrain de football américain, selon le vice-amiral Paul Zukunft des garde-côtes.

«Normalement, une enquête sur un cas aussi complexe prend deux à trois ans», estime David Uhlmann, un ancien responsable des équipes chargées des crimes environnementaux au Département de la Justice. Là, «il s'agit de la pire catastrophe environnementale de l'histoire des États-Unis», reconnaît-il. «Le calendrier va être considérablement accéléré, mais quoi qu'il arrive l'enquête ne sera pas bouclée avant 2011».