Seul au milieu des bayous, Allan Sessum craint que la marée noire ne détruise l'écosystème et ne le force à abandonner la vie qu'il a choisie.

Au milieu des bayous du sud de la Louisiane se trouve une cabane de bois où vit un homme avec son chien.

Les pêcheurs du coin le surnomment «le maire». Il règne sur un labyrinthe de marécages riches en poissons-chats et en alligators. Il aime la tranquillité.

«Parfois, il se passe des semaines sans que personne ne vienne dans le coin», explique Allan Sessum, 63 ans, la peau cuivrée par le soleil et les mains usées par la pêche.

 

M. Sessum n'a pas besoin de grand-chose, dans la vie: de l'essence pour sa génératrice, une éclaircie pour ses panneaux solaires, de la bière dans le frigo et du poisson dans les centaines de kilomètres carrés de marécages qui entourent sa maison. Il vit dans les bayous depuis 35 ans.

Quand la météo le permet, M. Sessum pêche presque chaque jour. Il échange ses prises contre du pain, de la viande ou une bouteille de vin que lui apportent des amis qui habitent sur la terre ferme.

«Essentiellement, je vis de ce que mon environnement produit. Mais je n'aime pas manger la même chose deux jours de suite, alors je fais du troc.»

La dernière fois qu'il a vu un médecin, c'est Jimmy Carter qui occupait la Maison-Blanche et Dancing Queen trônait au sommet des palmarès. M. Sessum n'a quitté les bayous qu'une seule fois dans les dernières années: en 2005, avant l'arrivée de l'ouragan Katrina. À son retour, sa cabane avait disparu.

«Si j'étais resté ici, je serais mort», dit-il simplement.

Ces jours-ci, la région est moins calme qu'il ne le souhaiterait: des bateaux et des hydroglisseurs passent plusieurs fois par jour devant sa maison d'une pièce, plantée près d'un canal. Les conducteurs ne le saluent pas et leurs moteurs font le bruit d'une tronçonneuse.

«Ils ne ralentissent pas, dit-il pendant que l'énième bateau passe à vivre allure. Tout le monde semble s'être donné comme mission de faire le plus de bruit possible. Tout ça, c'est à cause du déversement.»

Sur les images satellites, la marée noire forme un arc qui ceinture les bayous. Ce déversement, le pire de l'histoire des États-Unis, est à 20 km. Or, ici, la catastrophe est encore une vue de l'esprit, presque irréelle.

M. Sessum ne comprend pas pourquoi BP n'a pu empêcher cette catastrophe, mais il n'est pas en colère: «C'est un accident. C'est dommage, mais ce n'était pas intentionnel. Maintenant, la balle est dans le camp de l'entreprise. C'est à elle de montrer qu'elle est capable de prendre ses responsabilités.»

Pour le moment, il prie pour que le pétrole n'arrive pas dans les bayous. «Ce serait la fin de la région, lance M. Sessum alors que Black Jack, son labrador noir, se couche à ses pieds. L'équilibre de la nature, c'est une chose très délicate. Ça ne prend pas grand-chose pour provoquer le chaos.»

À la fin du jour, il aime s'asseoir devant chez lui, prendre une bière et caresser son chien. L'air est bon et les coassements des grenouilles est assourdissant. La lumière du soleil teinte les bayous d'orange. «Je ne changerais de place pour rien au monde», dit-il.