Donald Trump a repris la ligne dure contre les immigrés clandestins qui a fait son succès aux primaires républicaines. Mais cette stratégie pourrait l'empêcher de combler son retard auprès de l'électorat hispanique et des Américains modérés.

Lors d'un discours virulent mercredi à Phoenix, le candidat républicain à l'élection présidentielle de novembre a déclaré que toute personne en situation irrégulière serait susceptible d'être expulsée, et qu'aucune ne serait régularisée, à moins que les sans-papiers ne sortent d'eux-mêmes du territoire et déposent une demande depuis leur pays d'origine. Il a menacé des millions de clandestins d'expulsions, promettant des moyens supplémentaires à la police.

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L'arsenal répressif présenté, ainsi que la véhémence de ses propos contre le coût et le danger de l'immigration clandestine pour les citoyens américains, a relégué au second plan sa visite-surprise au président mexicain le même jour, à Mexico.

Cette rencontre, sa première avec un chef d'État, lui avait permis de hausser sa stature et de prouver qu'il valait mieux que la caricature xénophobe et impulsive dépeinte par ses détracteurs. Il avait témoigné de son admiration pour le peuple mexicain et qualifié M. Peña Nieto d'ami. Le seul couac a concerné la facture du mur que le candidat promet depuis l'an dernier de construire à la frontière, financé par le Mexique. Il a déclaré à une conférence de presse conjointe avec M. Peña Nieto que le sujet n'avait pas fait l'objet de discussions.

Mais le président mexicain a ensuite affirmé qu'il avait bien averti Donald Trump, en privé, que son pays ne paierait pas.

Le voyage aurait pu être un tournant et amorcer un début de réconciliation avec les Américains d'origine hispanique, écoeurés par plus d'un an d'attaques sans relâche contre les immigrés.

Le républicain en a désespérément besoin. À 68 jours de l'élection présidentielle, Hillary Clinton recueille 42 % des intentions de vote, devant Donald Trump (38 %), le libertarien Gary Johnson (7,6 %) et la verte Jill Stein (3 %), selon la moyenne calculée par le site Real Clear Politics.

Dans le dernier sondage Fox News, seuls 21 % des électeurs qui ne sont pas blancs disent soutenir Donald Trump.

Défections hispaniques

Le milliardaire ne s'est certes pas engagé à expulser manu militari la totalité des sans-papiers, reconnaissant peut-être le défi logistique qu'une telle opération représenterait. La priorité sera de renvoyer les criminels et les délinquants, ainsi que les visiteurs ayant dépassé leur durée de visa, a-t-il dit.

Mais il a fermé la porte à toute régularisation, alors qu'il avait vacillé la semaine dernière. Concrètement, cela signifierait la prolongation du statu quo pour ces personnes, en majorité mexicaines, qui attendent depuis des années voire des décennies de sortir de l'ombre.

Une majorité d'Américains est pourtant favorable à une réforme migratoire. Les chefs du Parti républicain, au lendemain de la défaite présidentielle de 2012, avaient tenté de conduire le parti vers une position plus conciliante, afin de courtiser l'électorat hispanique, mais cette ouverture avait échoué face à l'opposition des ultra-conservateurs.

Aujourd'hui, 77 % des électeurs sont favorables à une forme de régularisation des clandestins, selon le sondage Fox News. En juillet 2015, ils étaient 64 %. En 2010, c'était seulement une moitié.

Donald Trump a continué à envoyer des signaux contradictoires jeudi.

« Il y a un assouplissement », a-t-il assuré dans l'émission de radio Laura Ingraham Show. « Nous le faisons de façon très humaine ». Il a souligné qu'une décision serait prise plus tard sur les clandestins non considérés comme une priorité.

Mais dans un rassemblement à Wilmington, dans l'Ohio industriel, il a de nouveau présenté l'immigration comme une menace pour les travailleurs américains.

« Nous traiterons tout le monde avec dignité, respect et compassion, mais notre compassion la plus grande sera réservée aux citoyens américains ».

Ce virage à droite lui a coûté une première défection : un membre d'un comité hispanique pro-Trump, Jacob Monty, selon Politico. D'autres pourraient suivre.

Un autre conservateur latino pro-Trump, Alfonso Aguilar, a écrit sur Twitter s'être senti « déçu et trompé ».

Donald Trump peut-il changer ?

Chez les démocrates, on donnait la leçon aux commentateurs qui croyaient Donald Trump capable de changer.

« Il a fait un discours qui ressemble aux discours donnés au fil de notre histoire contre les Irlandais, contre les immigrés d'origine italienne, contre les Juifs d'Europe de l'Est. Ce seraient tous des criminels qui font des choses horribles et nous devons les expulser », a dit sur MSNBC Tim Kaine, colistier d'Hillary Clinton.

Jeudi, lors d'un discours devant la Légion américaine, une grande organisation d'anciens combattants, Donald Trump a repris le ton d'un futur commandant en chef.

Il a remercié le président mexicain, Enrique Peña Nieto, de l'avoir reçu la veille à Mexico.

« Nous pouvons travailler ensemble pour accomplir de grandes choses, pour nos deux pays », a-t-il dit, répétant que son but était de conserver « emplois et richesse dans notre hémisphère ».

« Né avec une petite cuillère en argent dans la bouche »

« Nous espérions que M. Trump présente un plan concret pour stopper l'immigration clandestine future tout en offrant une solution réaliste pour ceux qui vivent ici sans statut », a réagi Todd Schulte, président de l'organisation proréforme FWD.us, fondée par Mark Zuckerberg, créateur de Facebook, et d'autres patrons de la Silicon Valley. « Malheureusement, M. Trump a échoué sur les deux tableaux ».

Le vice-président américain, Joe Biden, a raillé le positionnement populiste de Donald Trump.

« Je n'en reviens pas », a-t-il lancé dans l'Ohio. « Ce type est né avec une petite cuillère en argent dans la bouche ».