Depuis jeudi soir dernier, la campagne présidentielle américaine ne met pas seulement aux prises Donald Trump et Hillary Clinton. Elle oppose également le candidat républicain aux parents d'un soldat musulman tombé au champ d'honneur en Irak. Et les médias se passionnent autant pour cet affrontement que pour l'autre.

Un rappel : accompagné de sa femme, Khizr Khan a quasiment volé la vedette à Hillary Clinton lors de la dernière soirée de la convention démocrate de Philadelphie. Il a expliqué que son fils Humayun n'aurait pas pu vivre aux États-Unis et servir son pays dans les forces armées si « cela avait dépendu de Donald Trump ». S'adressant ensuite au candidat républicain, le père d'origine pakistanaise lui a demandé s'il avait « au moins lu la Constitution des États-Unis », dont il a brandi un exemplaire. Et d'ajouter, à l'intention de Trump : « Vous n'avez rien sacrifié ni personne. »

La réponse controversée de Trump aux Khan a dominé l'attention des médias tout au long du week-end. Lors d'une entrevue accordée samedi et diffusée hier matin sur ABC, le promoteur immobilier et ancienne vedette de la téléréalité a opposé le sacrifice des Khan à ceux qu'il dit avoir faits pour bâtir son entreprise.

« Je pense avoir fait beaucoup de sacrifices. J'ai travaillé très, très dur », a-t-il déclaré avant d'insinuer que Ghazala, la femme de Khizr Khan, était restée silencieuse aux côtés de son mari en raison des moeurs islamiques.

« Si vous regardez sa femme, elle se tenait debout là-bas, elle n'avait rien à dire. Elle n'avait probablement pas le droit de dire quoi que ce soit. »

En fait, Ghazala Khan avait expliqué la veille sur MSNBC avoir refusé la demande de son mari de prendre la parole à la tribune de la convention démocrate. Elle craignait de fondre en larmes en parlant de son fils. « Donald Trump a dit que je n'avais probablement pas eu le droit de dire quoi que ce soit. Ce n'est pas vrai », a-t-elle écrit dans une tribune publiée par le Washington Post. Hier matin, sur ABC, elle a ajouté : « Quand je me tenais debout là-bas, toute l'Amérique a ressenti ma douleur, sans [que je dise] un seul mot. Je ne sais pas comment ça a échappé à [Trump]. »

Assis à ses côtés, Khizr Khan a reproché à Trump d'être « dépourvu de compassion pour une mère qui a sacrifié son fils ». « Il n'a pas de décence, il a un coeur sombre », a-t-il ajouté.

Tard samedi soir, l'équipe de Trump a diffusé une déclaration écrite dans laquelle le candidat qualifie Humayun Khan de « héros » et accuse son père de s'en être pris à lui devant des millions de personnes sans l'avoir jamais rencontré et en prétendant notamment qu'il n'avait pas lu la Constitution (Khan lui a, en fait, demandé s'il avait lu ce document fondateur).

« J'ai été attaqué vicieusement par M. Khan à la convention démocrate. N'ai-je pas le droit de répondre ? », a renchéri Trump hier matin sur Twitter.

Photo J. Scott Applewhite, archives Associated Press

Lors de la dernière soirée de la convention démocrate aux États-Unis, Khizr Khan, père d’un soldat musulman mort en Irak, a expliqué que son fils Humayun n’aurait pas pu vivre aux États-Unis et servir son pays dans les forces armées si « cela avait dépendu de Donald Trump ».

Les démocrates n'ont pas été les seuls à dénoncer la réponse de Trump aux Khan, et notamment son attaque à l'endroit de la mère. « Il n'y a qu'une seule façon de parler de parents [qui ont sacrifié un enfant à la guerre] : avec honneur et respect. Le capitaine Khan est un héros. Nous devrions prier ensemble pour sa famille », a écrit sur Twitter le gouverneur républicain d'Ohio John Kasich, qui n'a toujours pas appuyé Trump.



LA GOUTTE DE TROP ?

Cette controverse aura-t-elle un effet sur le reste de la campagne présidentielle ? Certains le croient, estimant que Trump a dépassé les limites de la décence en s'attaquant aux parents éplorés d'un soldat tombé au champ d'honneur. Mais le promoteur immobilier a déjà survécu à bien des controverses dont un candidat normal ne se serait pas relevé, en commençant par son insulte à un ancien prisonnier de guerre, en l'occurrence John McCain.

Mais force est d'admettre que les outrances de Trump semblent augmenter en nombre. Mercredi dernier, il a appelé la Russie à pirater les courriels d'Hillary Clinton, mettant plus tard sa déclaration sur le compte du sarcasme. Deux jours plus tard, il a dénoncé un général à la retraite, John Allen, qui l'avait critiqué lors de la convention démocrate.

« Et vous savez qui il est ? », a demandé Trump à des partisans du Colorado. « Un général qui a échoué », a répondu celui qui a réussi à éviter la guerre du Viêtnam, à l'instar de nombreux fils de bonne famille.

Mais l'affrontement entre les Khan et Trump sort de l'ordinaire. Il ne changera sans doute pas l'opinion des partisans endurcis du républicain, ceux qui voteraient pour lui même s'il abattait quelqu'un au beau milieu de la 5e Avenue. Mais il pourrait en être autrement pour les autres qui ne sont pas déjà dans le camp de Clinton.