«Les Américains de toutes convictions politiques en viennent à la triste réalisation que notre première dame - une femme aux talents indéniables qui a été un modèle pour plusieurs membres de sa génération - est une menteuse congénitale.»

Le 8 janvier 1996, cette amorce mémorable paraissait dans le New York Times sous la signature du chroniqueur conservateur William Safire, qui réagissait aux derniers rebondissements d'une affaire appelée Whitewater. Malgré l'affirmation de l'auteur, nombre d'électeurs démocrates refusaient de voir Hillary Clinton comme une menteuse, la voyant plutôt comme une victime du zèle partisan des républicains.

Or, deux décennies plus tard, la question de l'honnêteté de l'ex-première dame revient à l'avant-scène, compliquant ses ambitions présidentielles. Les sondages indiquent depuis plusieurs mois qu'une bonne majorité des Américains estiment qu'elle n'est pas honnête et digne de foi. Et un audit gouvernemental a démontré la semaine dernière qu'elle a proféré au moins trois mensonges en tentant de justifier son usage exclusif d'une messagerie privée durant ses quatre années à la tête du département d'État.

Contrairement à ses dires, l'ancienne secrétaire d'État n'a pas eu recours à un compte courriel personnel et à un serveur privé parce que c'était «plus pratique» (elle ne voulait pas que certains échanges soient divulgués par l'entremise de la loi sur l'accès à l'information); elle n'a pas reçu l'autorisation de mettre sur pied un tel système; et elle a refusé de rencontrer l'inspecteur général du département d'État après avoir promis de collaborer pleinement à son enquête.

Le rapport détaillé de l'inspecteur général n'est pas seulement susceptible de renforcer les doutes des Américains sur l'honnêteté de la candidate démocrate. Il tombe aussi à point nommé pour Donald Trump, qui ne prononce plus le nom de sa rivale sans l'accompagner de l'épithète «crooked» (croche, en bon québécois). Et le candidat républicain entend remonter jusqu'à l'affaire Whitewater pour étayer sa thèse sur la vraie nature de «Hillary la croche».

L'affaire Whitewater

Car l'ex-première dame a fait plusieurs entorses à la vérité en se défendant dans cette affaire tentaculaire qui a pour origine un projet immobilier en Arkansas. 

Comme le rappelait William Safire dans sa chronique du 8 janvier 1996, elle a notamment affirmé avoir réalisé en 1979 un profit spectaculaire de 10 000% dans le marché à terme des matières premières grâce à des informations glanées dans le Wall Street Journal.

En réalité, elle avait profité de l'aide de l'avocat principal d'un géant alimentaire de l'Arkansas et d'un courtier douteux, qui avaient intérêt à faire des faveurs à la femme du nouveau gouverneur de l'État.

La chronique de Safire contenait d'autres exemples du genre que Donald Trump a l'intention de ramener sur le tapis durant sa campagne. À l'évidence, Hillary Clinton n'a guère changé au cours des 20 dernières années. Comme le démontre l'affaire des courriels, elle continue à tordre la vérité pour se tirer d'embarras.

La fin justifie les moyens?

«Dans un sens, Hillary est victime de son propre succès», commente Stanley Renshon, psychanalyste et politologue à l'Université de New York. «Elle a survécu à plusieurs controverses en fournissant des explications trompeuses ou mensongères pour lesquelles elle n'a jamais eu à rendre des comptes.»

Auteur de plusieurs livres sur la psychologie des présidents et des prétendants à la Maison-Blanche, le professeur Renshon estime que Hillary Clinton tombe dans la catégorie des politiciens pour lesquels «la fin justifie les moyens».

«Elle se voit comme une bonne personne qui peut contourner les règles pour atteindre ses objectifs louables et se défendre contre ses ennemis acharnés», dit M. Renshon.

En 1996, dans un livre intitulé The Psychological Assessment of Presidential Candidates, Stanley Renshon semblait déjà penser à la candidate démocrate en abordant le sujet des aspirants à la Maison-Blanche «dont l'ambition est alimentée par un sens passablement primitif de leur propre valeur».

Quelles conséquences?

«Cela conduit souvent à une tendance à prendre des raccourcis, à ne pas être entièrement honnête, à décrire toujours les choses sous le meilleur éclairage [...] et à être prêt à contourner les règles si nécessaire. De telles personnes sont susceptibles d'avoir des démêlés avec la justice», écrivait Renshon.

Hillary Clinton en est de nouveau là. Le 26 janvier 1996, elle est devenue la première première dame à comparaître devant un grand jury pour son rôle dans l'affaire Whitewater. Aujourd'hui, elle fait l'objet d'une enquête criminelle du FBI sur la gestion de ses courriels (comme en 1996, les chances qu'elle soit inculpée sont minces).

Bien sûr, certains démocrates diront que les mensonges de Clinton ne pèsent pas lourd par rapport à ceux de Trump, dont le discours affabulateur et fascisant les fait trembler de peur.

N'empêche, ils finiront peut-être par féminiser le slogan adopté par les partisans de l'ancien gouverneur sulfureux de la Louisiane Edwin Edward, qui faisait face à David Duke, ex-grand sorcier du Ku Klux Klan, lors d'une élection en 1991: «Votez pour la croche, c'est important.»