Quand on débarque dans la zone nord de la ville américaine de Flint, après avoir quitté le quartier de la Maison-Blanche où se trouve le bureau de l'AFP à Washington, on a l'impression de faire au minimum un grand écart.

On laisse des rues proprettes, aux façades léchées, pour un condensé de misère et d'abandon évoquant des pays à la dérive.

On quitte des cadres et des fonctionnaires pressés, bien habillés et se nourrissant de salades bio élaborées, pour des personnes surendettées chez qui la couverture santé ou un emploi décent sont des rêves interdits.

Des personnes qui raclent leurs fonds de tiroir pour payer leurs factures. Et qui, quand Donald Trump veut rendre sa «grandeur» à l'Amérique, veulent simplement qu'on leur rende leur eau potable.

En d'autres mots, les habitants de Flint ont voté mardi en pensant au poison qui sort de leurs robinets plutôt qu'au vainqueur qui sortira des primaires républicaines ou démocrates.

C'est ce qu'ils confient aux journalistes de passage: «Merci de prendre de votre temps pour relater les injustices sociales que subit notre communauté», disent-ils, en ouvrant grand leur porte.

Dimanche, quelques centaines d'entre eux avaient été invités dans l'auditorium local pour voir Hillary Clinton et Bernie Sanders. Les deux démocrates en lice sont venus notamment débattre du libre-échange, accusé d'avoir saigné la ville industrielle.

Puis les équipes de CNN et la caravane des candidats sont reparties. Le Michigan, où se trouve Flint, a choisi Trump côté républicain et, de l'autre, a offert une victoire-surprise à Bernie Sanders, le pourfendeur de Wall Street.

Les résidants ont réintégré leurs maisons cernées par la neige, dans les entrées desquelles s'empilent des packs de bouteilles en plastique. Ces bouteilles d'eau sont devenues le seul moyen de cuisiner et de se nourrir, le réseau de distribution demeurant gravement contaminé au plomb.

Des soldats et des bénévoles les distribuent gratuitement, directement dans les foyers dans le besoin ou devant les casernes de pompiers.



Génération sacrifiée

Il faudra des années pour remplacer une par une les conduites corrodées de Flint. Ni la ville, ni le gouverneur du Michigan, pourtant 100 % responsable de ce scandale sanitaire, ne pourront assumer la facture de ce chantier pharaonique.

Alors que nous sommes sur place seulement quatre jours, nous savons donc qu'il faudra reparler de la cité maudite, où des experts craignent de voir apparaître une génération d'enfants malades, retardés mentaux et enclins à la délinquance.

Flint ne sera pas oubliée, ont aussi promis les candidats.

Pourtant, quand on circule dans les quartiers nord de la ville sinistrée, difficile de ne pas être envahi par un sentiment de délaissement inéluctable. Les mots qui viennent à l'esprit sont déclin, misère et fuite.

D'abord il y a cette désolation qui saute aux yeux, ces habitations aux vitres cassées, aux auvents décrochés, aux toits crevés. Par centaines des maisons ont été abandonnées et leurs issues condamnées pour ne pas servir de squat aux toxicomanes. Les commerces? Également fermés pour beaucoup, tout comme ces écoles mortes, aux fenêtres scellées par des planches.

«Dans le North End, on trouve surtout la communauté noire, il y a énormément de pauvreté, une forte criminalité, des gens qui luttent pour survivre, mais des gens bons», décrit le révérend Daniel Moore, pasteur d'une église baptiste locale.

«Désormais, les habitants sont traînés devant les tribunaux pour les forcer à raser leur maison», poursuit-il. «S'ils n'ont pas les moyens, la ville effectue alors une saisie».

La deuxième chose frappante ici est le silence, dans ces rues quasiment vides. Quel paradoxe pour Flint qui se targue d'être la «Ville de l'automobile» dans un État, le Michigan, qui affirme avoir «placé le monde sur des roues» avec son porte-étendard, Detroit, fondée par Antoine de Lamothe-Cadillac! D'où le berceau de Cadillac, mais également de Pontiac, Chevrolet, Buick ou Oldsmobile...

«Il y avait 80 000 emplois chez General Motors ici. Aujourd'hui? Il en reste 5000», a twitté dimanche le réalisateur Michael Moore, un enfant de Flint devenu son citoyen le plus célèbre.

PHOTO RACHEL WOOLF, THE FLINT JOURNAL/AP

Le cinéaste soutient lui-même avec passion Bernie Sanders. Mais dans le comté de Genesee où se trouve Flint, c'est Hillary Clinton qui est arrivée en tête. L'ancienne secrétaire d'État est populaire chez les Noirs, qui forment 57 % de la population.

La rivière, frontière empoisonnée

Les villes américaines sont connues pour leurs contrastes, entre quartiers ghettos et banlieues aisées. À Flint, en plus d'avoir empoisonné la population, la rivière joue un rôle de ligne de démarcation.

Au sud se trouvent les restaurants et les cafés, la mairie, le tribunal, le marché couvert, la bibliothèque municipale, l'Institut des arts et les principaux bâtiments universitaires.

Au nord se trouvent les friches industrielles, les magasins en faillite et les habitats les plus précaires. C'est aussi là qu'on a relevé les plus fort taux de plomb dans l'eau courante.

Passer du sud au nord revient à perdre ses repères, le genre d'impression que l'on ressent dans une ville sous couvre-feu ou dans une rame de métro complètement vide.

«Au nord, il n'y a pas beaucoup d'argent. Nous avons beaucoup de bons habitants, mais ils virent mal, par manque de revenus et d'éducation», explique Charles Marion, dont la maison jouxte d'autres maisons abandonnées.

«On sait bien que l'éducation est cruciale, mais nos écoles sont fermées. On a probablement connu une trentaine de fermetures d'écoles ces cinq à sept dernières années. C'est effroyable».

PHOTO JAKE MAY, THE FLINT JOURNAL/AP

Michael Moore