Qu'il s'agisse du président démocrate Barack Obama ou de son rival républicain Mitt Romney, le prochain locataire de la Maison-Blanche pèsera sur la couleur politique de la Cour suprême des États-Unis, chargée de fixer tous les grands enjeux de la société américaine.    

«Les risques que le prochain président ait un effet durable sur la composition de la Cour sont élevés», estime Ronald Dworkin, professeur de philosophie et de droit à l'Université de New York. A fortiori si le républicain Mitt Romney est élu.

Trois des neuf juges de la plus haute juridiction du pays flirtent avec les 80 ans, dont deux sont cruciaux pour l'actuelle minorité de gauche. Ils pourraient devoir tirer leur révérence au cours du prochain mandat présidentiel, or c'est le président qui a le pouvoir de nommer à vie leurs remplaçants.

Actuellement, «la Cour suprême est profondément divisée et la majorité conservatrice de 5 juges contre 4 exerce une emprise sur la plupart - sinon sur la totalité - des décisions controversées et fondamentales» de la société américaine, explique à l'AFP Thomas Mann, analyste au centre de réflexion Brookings Institute.

«Si Romney gagne, la majorité conservatrice pourrait bien exercer une influence pour encore des décennies», note-t-il.

«Particulièrement si, suivant une tradition républicaine bien établie, (Mitt Romney) nomme des juges suffisamment jeunes pour rester au pouvoir bien après» son mandat, renchérit M. Dworkin.

Car, comme l'a souligné dans un entretien récent à l'AFP le juge Stephen Breyer, «le problème avec la Cour suprême est que (les juges) ne prennent jamais leur retraite et qu'ils ne meurent que rarement».

Et «les juges ont tendance à ne se retirer stratégiquement que pour permettre à un président qui leur est sympathique idéologiquement de nommer leur successeur», selon Tom Goldstein, expert de la Cour suprême sur Scotusblog.com.

L'avenir de l'avortement en jeu

Mais Ruth Ginsburg, un des piliers de gauche de la haute Cour, qui, à bientôt 80 ans, reste suivie pour un cancer du pancréas, pourrait ne pas avoir le choix de son départ.

Un président Romney pourrait aussi être amené à remplacer l'ultra-conservateur Antonin Scalia et le modéré Anthony Kennedy, qui bien que nommé par un président républicain vote souvent à gauche.

Et en cas de réélection de Barack Obama, tous deux, âgés de 76 ans, retarderaient leur retraite.

L'enjeu est de taille dans une Cour qui a mis fin à la ségrégation raciale, rétabli la peine de mort, autorisé le port d'armes et aura sans doute le dernier mot cet hiver sur le mariage homosexuel.

Il a pourtant bien peu occupé le terrain pendant la campagne électorale.

«Après tout le cinéma qui a entouré la décision très attendue de la Cour suprême sur la réforme de l'assurance-maladie du président Obama, la Cour a perdu tout intérêt aux yeux du grand public, et ne s'est pas imposée comme un sujet majeur de la campagne», explique Adam Winkler, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Los Angeles (UCLA).

Dans une Cour refaçonnée par Mitt Romney, «les progressistes peuvent s'attendre à être muselés sur les grands sujets», ajoute M. Winkler dans un éditorial du Huffington Post.

De fait, les observateurs s'interrogent sur l'avenir de l'avortement aux États-Unis, validé par la fragile décision «Roe contre Wade» de 1973, que Mitt Romney a promis de casser.

Une Cour à majorité conservatrice pourrait aussi bientôt interdire la discrimination positive à l'université, qu'elle avait autorisée en 2003.

Le président conservateur de la haute Cour ne s'y était pas trompé. En votant avec le camp de gauche pour sauver la réforme phare de la santé d'Obama, John Roberts, désormais honni des républicains, a voulu protéger la réputation de sa Cour.