À mi-chemin entre Las Vegas et Death Valley, la ville de Pahrump se remet mal de la crise économique - et ce, bien qu'on y trouve huit maisons closes, dont le «bordel nº 1 au Nevada». Ici, Romney est populaire, mais les démocrates travaillent fort pour faire réélire le président, qui a pour l'instant une légère avance dans l'État, explique notre correspondant.

Vous arrivez à Pahrump par la route 178, qui file à travers le désert comme un lancer frappé. Le long de Leslie Street, vous voyez un homme poser des blocs de ciment dans son 4X4. Vous décidez de faire demi-tour pour aller lui parler. Son chien esquimau file vers vous. L'homme le rappelle. Il vous présente sa main droite et est prêt à vous raconter sa vie.

Derrière lui, le soleil jette une lumière orangée sur le mont Sterling, dont le sommet est déjà enneigé.

«À la fin des années 40, nous allions faire brouter nos vaches là-haut, dit l'homme. Une nuit, nous dormions dans le camion quand soudain le camion s'est mis à basculer de gauche à droite. Nous croyions qu'un taureau avait chargé, mais non. C'était un essai atomique.»

L'armée américaine testait ses bombes dans la région. Aujourd'hui, d'autres types de bombes explosent. La dernière a sauté en 2008. C'était la crise économique. Quatre ans plus tard, le taux de chômage à Pahrump frôle toujours les 15%.

Le Nevada est un État-clé: la lutte entre Obama et Romney est serrée. Le président a une légère avance pour l'instant, surtout grâce au vote de Las Vegas.

David Beltran, directeur de la campagne d'Obama au Nevada, a rappelé cette semaine que 70 000 nouveaux électeurs avaient été inscrits sur la liste électorale cette année. «Les démocrates font une excellente campagne de terrain au Nevada, l'une des meilleurs de l'histoire.»

Or, dès que l'on quitte Las Vegas et que l'on prend la route vers le nord, on s'enfonce en terrain républicain.

Dans le comté rural de Nye, où se trouve Pahrump (25 000 habitants), les républicains forment 44% de l'électorat et les démocrates, 32%. Aux primaires républicaines, ici, les gens avaient voté pour Ron Paul. Depuis, ils se sont ralliés à Romney.

L'homme qui vous raconte sa vie s'appelle Jim Owens. Il y a six mois, il possédait encore trois chevaux. Il a dû les vendre parce qu'il ne gagne pas assez d'argent pour les nourrir. Il va voter pour Romney.

«Obama a eu sa chance. Romney connaît le monde des affaires. Je pense qu'il peut nous aider.»

25 000 âmes, 8 bordels

La prostitution n'est pas autorisée dans le comté de Clark, où se trouve Las Vegas. À Pahrump, on compte huit bordels (et seulement trois feux de circulation).

Vous roulez sur Homestead Road et passez devant une affiche qui dit «Connaissez-vous Jésus?» et une affiche Romney-Ryan avant d'arriver au Chicken Ranch, qui se targue d'être le «bordel n° 1 au Nevada».

La dame qui ouvre la porte vous explique que vous ne pouvez pas visiter. «Allez à côté», dit-elle en s'allumant une cigarette.

À côté se trouve Sheri's Ranch, Resort and Spa. Vous entrez dans le bar et demandez à faire une visite. Jade, en sous-vêtements, vous invite à la suivre. Son visage a si souvent passé sous le bistouri du chirurgien qu'il semble sur le point d'exploser. Jade vous montre une pièce privée où se trouve une baignoire à remous. Une autre où des chaînes sont fixées au mur. Une autre baignoire à remous et une machine qui souffle des bulles de savon dans la pièce. En revenant au bar, vous lui faites remarquer que l'endroit semble vide.

«Les clients arrivent plus tard, il est tôt encore», dit-elle. Vous lui donnez un pourboire pour la visite et elle vous serre dans ses bras.

Pas de luxe

Il est 10h du matin et le petit bureau du Parti démocrate à Pahrump est fermé à clé. Sur la porte, un papier collé avec du ruban adhésif demande aux bénévoles de se rendre chez Consuelo, à telle adresse.

Vous cognez à la porte de Consuelo. Une dame dans la soixantaine ouvre. Elle vous invite dans sa grande maison, où son mari est en train de prendre son déjeuner. La télé diffuse les dernières nouvelles de la campagne électorale.

«Nous nous impliquons beaucoup dans le parti démocrate, explique Consuelo McCuin. Le Nevada est un État-clé, alors nous faisons ce que nous pouvons.»

Le mari de Consuelo McCuin, James, a été blessé dans la guerre du Vietnam. «Nous sommes retraités et vivons avec 40 000$ par année, dit-elle. Nous ne pouvons pas nous payer de luxe. Mais d'autres sont dans des situations bien pires que la nôtre. Nous sommes chanceux.»

Elle vous donne une bouteille d'eau froide. Votre regard croise celui d'un jeune soldat, photographié sur un fond bleu ciel. La photo est posée sur le téléviseur. Dennis James. Né en 1990. Mort en 2011 en Afghanistan.

«C'était notre petit-fils. Un bon soldat», dit Mme McCuin.

Drapeau américain

Plus loin, sur Basin Road, se trouve le palais de justice de Pahrump, ou les gens se rendent voter chaque jour jusqu'au 6 novembre.

Ray Mielzynski, dit The Flagman (l'homme au drapeau) fait flotter un grand drapeau américain pendant que les électeurs arrivent par petits groupes. M. Mielzynski porte deux armes à la ceinture: un revolver de calibre 38 et un revolver à neuf coups. «Je suis ici pour appuyer mon ami Louis J. DeCanto, qui se présente comme juge. Je ne milite pas pour l'élection présidentielle», dit-il, avant d'ajouter qu'il a voté pour Romney. Le Flagman est bien connu dans la région: il fait flotter son drapeau chaque jour devant le palais de justice.

Certains électeurs ont exprimé leur malaise devant la présence de cet homme armé près du bureau de vote. M. Mielzynski dit qu'il n'enfreint aucune loi. «Ma cause, c'est la liberté.»

En soirée, vous entrez au Arnie's Saloon, à côté d'une laverie automatique. L'endroit, plus petit que vous ne l'estimiez, est rempli d'habitués. Vous vous asseyez au bar. La serveuse, souriante, vous demande: «Qu'est-ce qui t'amène à Pahrump?»

Vous discutez pendant que les clients jouent au billard. Tout à coup, la serveuse vous donne un ticket. «C'est bon pour une bière. C'est offert par les joueurs de billard.»

Vous dites merci et les joueurs vous saluent de la main. Neil Young chante dans les haut-parleurs.

«Je suis pour Obama, dit la serveuse à voix basse. Romney, il vient d'un autre monde. Obama, je trouve que c'est un homme comme nous, si tu vois ce que je veux dire.»