Ainsi va l'Ohio, ainsi vont les États-Unis. Depuis 1964, ce dicton électoral s'est toujours vérifié, alors que l'Ohio a choisi le gagnant des 12 derniers scrutins présidentiels. Une autre règle non écrite de la démocratie américaine: aucun candidat républicain n'a accédé à la Maison-Blanche sans gagner l'Ohio. Et si la tendance se maintient, le 6 novembre, les électeurs de l'État baromètre pourraient bien assurer la réélection de Barack Obama.

Ancienne militaire, Lori Cox, 36 ans, est d'allégeance républicaine jusque sur la liste électorale. Le 6 novembre, ce sont les électeurs comme elle que Mitt Romney doit convaincre s'il veut devenir président des États-Unis. Car pour Mitt Romney, l'équation est simple: d'Abraham Lincoln à George W. Bush, aucun républicain n'a accédé à la Maison-Blanche sans gagner l'Ohio.

Mais peu importe sa fin de campagne, Mitt Romney devra oublier le vote de Lori Cox. Employée à l'usine de General Motors à Lordstown - plus importante usine automobile de l'Ohio avec 4500 employés -, Lori Cox n'a pas oublié le plan de relance de Barack Obama pour sauver son employeur de la faillite. Et surtout, l'opposition de Mitt Romney qui voulait que GM se restructure en faisant faillite. «Sans le plan de relance, nous n'aurions pas nos emplois. Romney voulait laisser Detroit faire faillite. Ça aurait eu un grand impact pour l'industrie automobile, mais aussi pour l'ensemble de l'économie de l'Ohio», dit Lori Cox, active dans son syndicat local affilié à la AFL-CIO, plus important syndicat du pays, qui soutient Barack Obama.

L'usine de GM à Lordstorm est au coeur de la stratégie de Barack Obama dans cette campagne électorale basée sur l'emploi. Le vice-président Joe Biden était d'ailleurs de passage le mois dernier dans le village de 4500 âmes pour vanter le plan de relance de l'industrie automobile, qui pourrait coûter 25 milliardsUS aux contribuables américains selon le département du Trésor. «Sans plan de relance, ç'aurait été une catastrophe», dit Glenn Johnson, président du syndicat local des 4500 employés de GM à Lordstown. Une catastrophe non seulement chez ses membres, mais aussi dans l'ensemble de l'économie de l'Ohio, soutient le syndicat. Selon l'AFL-CIO, un emploi dans une usine automobile du «Big 3» en soutient huit autres en Ohio. Le plan de relance aurait ainsi assuré 850 000 emplois en Ohio, soit 17% de la main-d'oeuvre (5,1 millions d'emplois).

Électeurs déchirés

Le maire de Lordstrom, Arno Hill, qui s'est fait élire en 2011 sous la bannière républicaine, n'est pas d'accord. «On n'aura jamais la réponse, mais je pense que l'usine de Lordstown aurait été assez forte pour ne pas avoir besoin du plan de relance», dit celui qui a travaillé 32 ans à l'usine.

Qui a raison? Pour les 4500 employés de GM à Lordstown, le débat est théorique. Le plus important, c'est que leur emploi soit assuré: GM - qui a hérité du surnom de Government Motors en raison du plan de relance - a annoncé en août dernier un investissement de 220 millions pour moderniser l'usine qui produit des Chevrolet Cruze, voiture économique pour laquelle la demande est forte. «Beaucoup de gens dans la région sont opposés idéologiquement au plan de relance, mais ils sont contents de l'avoir eu», résume le maire Arno Hill.

Comment ces électeurs déchirés voteront-ils le 6 novembre? En 2008, Barack Obama a obtenu 60% dans la circonscription électorale où est située l'usine de Lordstown, mais la circonscription voisine a soutenu John McCain à 57%. Sur l'ensemble de l'État, Barack Obama n'a gagné que 22 des 88 circonscriptions, mais a fait le plein de votes dans les villes (il a gagné 11 des 13 circonscriptions de plus de 100 000 votes). Dans les régions rurales, son adversaire John McCain a prévalu.

L'agneau sacrifié

Les bénévoles de la campagne Obama viennent lui serrer la main, prendre une photo, lui dire de bons mots. Deux équipes de télévision s'activent. Pas de doute, Ted Strickland vient de faire son entrée.

Ex-gouverneur démocrate de l'Ohio, Ted Strickland, 71 ans, passe la soirée du premier débat présidentiel avec une centaine de partisans de Barack Obama dans un local d'un syndicat de pompiers. «Nous avons besoin de votre aide pour faire sortir les électeurs», dit-il avec sa voix de politicien qui sait réchauffer un local électoral.

En 2010, Ted Strickland a été emporté par la vague républicaine aux élections de mi-mandat. Ironie du sort, c'est un banquier de Lehman Brothers (dont la faillite a déclenché la crise de Wall Street) qui lui a ravi son siège de justesse (49% à 47%, soit un écart de 77 000 votes). Les républicains ont repris par la même occasion le contrôle de la Chambre des représentants de l'Ohio.

Ces jours-ci, Ted Strickland, agneau sacrifié des démocrates, se console en pensant que sa défaite pourrait permettre la réélection de Barack Obama. «Les gens ont vu les résultats du contrôle républicain en Ohio et au Congrès à Washington: obstruction aux réformes, attaques contre la classe moyenne et les syndicats, dit-il en entrevue à La Presse. L'environnement politique est très différent de celui de 2010. Barack Obama va gagner pour deux raisons: son plan de relance économique qui a permis aux États de combattre la récession, et son plan de relance de l'industrie automobile qui a aidé l'économie de l'Ohio.»

L'opposition de Mitt Romney au plan de relance automobile lui fera-t-elle perdre l'Ohio? Ce serait particulièrement ironique quand on sait que son père, George Romney, a dirigé le plus important constructeur automobile de l'époque, l'ancien American Motors, dans les années 50.

Cadence infernale

Chose certaine, l'optimisme est aussi de mise chez les élus démocrates de l'Ohio qui ont survécu à la vague républicaine. «En 2010, l'électorat était plus impatient et les républicains avaient fait beaucoup de publicité négative. Cette fois-ci, l'électorat est mieux informé des enjeux, notamment à cause des attaques importantes des républicains contre les droits des travailleurs, des électeurs et des femmes», dit Tracy Maxwell Heard, whip de la minorité démocrate à la Chambre des représentants de l'Ohio.

Pendant que leurs colistiers se préparaient à débattre, Barack Obama et Mitt Romney ont tous deux fait campagne en Ohio la semaine dernière. Mitt Romney a passé deux jours consécutifs dans l'État baromètre, tandis que Barack Obama a prononcé un discours devant 15 000 personnes sur le campus d'Ohio State - le plus important rassemblement politique de la campagne en Ohio, et la septième visite d'un aspirant à la Maison-Blanche sur le campus depuis le début de la campagne. Au total, les duos Obama-Biden et Romney-Ryan ont visité l'Ohio à 56 reprises, selon le Columbus Dispatch. Au point où certains électeurs sont lassés. «Il y a trop de publicités électorales partout», dit Lauren Pugh, une étudiante en anthropologie qui va voter pour Obama.

N'en déplaise à Lauren Pugh, aucun des deux camps ne ralentira la cadence d'ici au 6 novembre afin de faire sortir le vote. «L'Ohio a tendance à être conservateur, mais il y a davantage de démocrates que de républicains d'inscrits sur les listes électorales, dit l'élue démocrate Tracy Maxwell Heard. Quand les démocrates vont voter, nous gagnons.»

_____________________________

Sondages

CNN/Gallup, 5-8 octobre (après le débat présidentiel et les chiffres sur la baisse du chômage)

Obama 51%

Romney 47%

Rasmussen, 4 octobre (après le débat présidentiel et les chiffres sur la baisse du chômage)

Obama 50%

Romney 49%

Résultats électoraux

Présidentielle 2008

Obama 51,2%

McCain 47,2%

Autres 1,6%

Présidentielle 2004

Bush 50,8%

Kerry 48,7%

Autres 0,5%

____________________________

Poids lourds locaux républicains

Paul Ryan: candidat à la viceprésidence, a étudié l'économie et la politique à l'Université Miami en Ohio.

John Boehner: républicain le plus puissant à Washington en raison de son titre de président de la Chambre, représente le 8e district de l'Ohio depuis 1991.

Rob Portman: sénateur de l'Ohio, a personnifié Barack Obama pour préparer Mitt Romney aux débats présidentiels.

John Kasich: gouverneur de l'Ohio depuis 2010.

____________________________

L'Ohio en chiffres

18/538: 18 votes sur 538 au collège électoral

11,5 millions: nombre de résidants (3,6% de la population américaine)

7,2%: Taux de chômage (moyenne nationale de 7,8%)

25 113$: Revenu médian par personne (moyenne nationale de 27 334$)

Capitale : Columbus

Gouverneur : John Kasich, (R)

Adhésion à l'Union : 1er mars 1803, déclarée rétroactivement le 7 août 1953 (17e État)

Sources : Bureau of Labor Statistics, Census Bureau

____________________________

Portraits d'électeurs

Les électeurs de l'Ohio pourraient bien décider de l'issue de l'élection présidentielle. La Presse vous en présente quatre qui ont l'intention de faire entendre leur voix le 6 novembre.

Lori Cox

Employée chez General Motors, 36 ans, Lordstown

Votera pour Obama: «Sans le plan de relance, nous n'aurions pas nos emplois. Romney voulait laisser Detroit faire faillite.»

Jason Black

Machiniste chez AK Steel (usine d'acier), 39 ans, Middletown

Votera pour Obama: «Il n'a pas fait un travail parfait, mais il veut remettre les Américains au travail. Romney, lui, est pour le 1%.»

Lucas Denney

Étudiant à Ohio State et militant républicain, 20 ans, Columbus

Votera pour Romney: «Barack Obama a l'air d'un bon gars, mais il ne sait pas gérer une économie, contrairement à Mitt Romney.»

Thomas Waltermire

PDG de Team NEO (organisme de développement économique), 62 ans, Cleveland

Votera pour Romney: «Romney n'est pas le candidat parfait, mais l'enjeu le plus important est la croissance économique. Comme disait Margaret Thatcher, à un moment donné, on n'a plus assez de l'argent des autres pour payer nos dépenses.»

____________________________

L'enjeu local: le plan de relance de l'industrie automobile

En 2009, le gouvernement des États-Unis (ainsi que ceux du Canada et de l'Ontario) a injecté 80 milliards dans GM et Chrysler, à qui les banques ne voulaient plus prêter, en échange d'actions. Le département du Trésor américain estime que le plan de relance coûtera à terme 25 milliards aux Américains.

Washington a perdu 1,3 milliard en vendant ses actions de Chrysler à Fiat en juillet 2011. Washington détient toujours 26,5% des actions de GM (il en avait 61% au départ). Si le gouvernement vendait ses actions de GM aujourd'hui, il perdrait 15 milliards selon le Wall Street Journal. Pour que Washington se rembourse complètement, l'action de GM devrait passer de 24$ à 53$. Le dernier membre du Big 3, Ford, n'a pas eu besoin de l'argent du gouvernement.