En pleine campagne présidentielle aux États-Unis, un film documentaire espère relancer le débat sur le faible niveau d'impôts payé par certaines multinationales à l'heure où les finances de l'État se dégradent.

Projeté en janvier au très couru festival de Sundance, We're Not Broke (Nous ne sommes pas fauchés) délivrera à partir de lundi, dans une vingtaine de villes des États-Unis, un message simple: «Le système fiscal est injuste et pénalise l'Américain moyen», comme l'affirme à l'AFP sa coréalisatrice, Victoria Bruce.

Fixé à 35%, le taux d'impôt sur les sociétés aux États-Unis est l'un des plus élevés parmi les pays industrialisés, mais un complexe système de déductions et d'abattements, associé à des techniques d'optimisation fiscale, permet aux grandes entreprises de réduire considérablement leur facture, voire de la faire disparaître.

«Le système n'est pas calibré pour taxer les multinationales qui prospèrent grâce aux actifs immatériels» tels que les brevets dans la pharmacie ou la haute technologie, assure à l'AFP Edward Kleinbard, professeur de droit fiscal à l'université de Californie du Sud.

Fruit de 15 mois d'enquête, We're Not Broke met notamment à l'index Coca Cola, Nike ou Google en s'appuyant toutefois sur des informations parcellaires. Couvert par le secret fiscal, le montant exact des impôts payé par les entreprises ne sort que rarement de l'ombre.

En 2011, General Electric avait dû reconnaître qu'il n'avait pas payé un centime d'impôt sur les sociétés aux États-Unis en 2010. Selon le magazine Forbes, il en avait été de même en 2009 alors que cette entreprise, l'une des plus importantes du pays, avait dégagé 10,7 milliards de bénéfice.

En 2008, un rapport remis au Congrès concluait que 55% des entreprises américaines avaient elles aussi échappé à cet impôt pendant au moins une des sept années couvertes par l'étude.

Paradis fiscaux

Plus récemment, en août, un centre de réflexion progressiste, l'Institute of Policy Studies, affirmait que 26 grands patrons avaient perçu en 2011 des rémunérations supérieures à ce que leur entreprise payait au titre de l'impôt sur les sociétés. Sa méthodologie avait toutefois été contestée.

«La majorité des multinationales américaines ont localisé une part démesurée de leurs bénéfices en dehors des États-Unis pour les placer dans des paradis fiscaux» où ils ne sont pas soumis à l'impôt, détaille pour l'AFP Martin Sullivan, un ancien économiste du Trésor américain.

Selon une récente étude de M. Sullivan, Apple a légalement utilisé cette technique dite des prix de transferts pour réduire «de plusieurs milliards de dollars» son impôt sur les bénéfices en 2011.

Repris en boucle par les militants du mouvement «Uncut», ce thème s'est invité dans la campagne présidentielle à l'heure où la dette publique américaine dépasse les 16 000 milliards de dollars. «Nous vivons à crédit et ce n'est pas viable», assure Karin Hayes, l'autre coréalisatrice du documentaire.

Dans sa profession de foi, le candidat démocrate et président sortant Barack Obama s'est engagé à réformer un système «inefficace» en réduisant le taux de l'impôt sur les sociétés tout en élargissant la base et en supprimant certaines déductions.

Son rival républicain, Mitt Romney, a pour sa part promis de baisser ce taux à 25% pour restaurer la «compétitivité» des firmes américaines.

Pendant la campagne de 2008, l'actuel locataire de la Maison-Blanche s'était déjà engagé à toiletter les milliers de pages du code fiscal, mais il avait dû renoncer.

«C'est comme de dire qu'on doit perdre 6 kilos. Tout le monde est d'accord, c'est probablement une bonne idée, mais le chemin pour y parvenir est très compliqué», souligne M. Sullivan.

Contacté, le Trésor américain n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.