Le président américain Barack Obama et son rival républicain, Mitt Romney, ont repris leur campagne électorale lundi après l'avoir suspendue dans la foulée de la fusillade de vendredi au Colorado, qui a fait 12 morts. Mais malgré cet incident qui a provoqué une vive émotion à travers le pays, aucun des candidats à la présidence n'a l'intention de débattre du contrôle des armes à feu, un sujet hautement sensible aux États-Unis.

Les seules remarques de la Maison-Blanche au sujet du contrôle des armes après la fusillade se sont limitées à dire que le président soutient les lois existantes en la matière. Rappelons que l'auteur présumé de la tuerie a acquis ses multiples armes légalement, dont un fusil d'assaut et 6000 munitions achetées sur Internet.

«Il croit que nous devons prendre des mesures qui protègent les droits des citoyens américains prévus par le deuxième amendement (de la Constitution), tout en nous assurant que nous n'autorisons pas les armes entre les mains d'individus qui ne devraient pas, selon les lois existantes, obtenir ces armes», a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, le week-end dernier.

«Le point de vue du président, c'est que nous pouvons prendre des mesures pour enlever les armes des mains de ceux qui ne devraient pas en avoir en vertu des lois existantes. Et c'est sa priorité pour le moment», a-t-il ajouté.

Le président Obama a de bonnes raisons de vouloir rester loin de ce débat. Sa cote de popularité est faible chez la classe ouvrière blanche, traditionnellement très attachée au droit de posséder des armes. Il ne peut se permettre de les indisposer davantage à l'approche de l'élection présidentielle de novembre.

Barack Obama risque de se mettre bien des électeurs à dos s'il décide de prendre parti en faveur du contrôle des armes. Il y aurait environ 270 millions d'armes à feu en circulation aux États-Unis, ce qui en fait le pays qui possède le plus grand nombre d'armes par habitant au monde.

Les sondages laissent entendre que les Américains sont de plus en plus résistants au contrôle des armes depuis une vingtaine d'années. Plusieurs États ont assoupli leurs lois sur le port d'armes en public. Les ventes d'armes à feu sont en plein essor: l'année 2011 a battu un record en matière d'achat d'armes à feu et les chiffres de 2012 devraient établir un nouveau précédent. Environ 50 pour cent des foyers américains posséderaient une arme à feu.

Tant Barack Obama que Mitt Romney ont appris les leçons de ceux qui se sont lancés dans le débat avant eux, explique William Schneider, un analyste politique américain bien connu qui enseigne à l'université George Mason, en Virginie. Le contrôle des armes est une question perdue d'avance pour les politiciens, souligne-t-il.

«À certains moments dans le passé, ce genre de fusillade a mené à de nouvelles lois, mais elles ont toutes fini par être renversées. Le lobby des armes est bien présent et vote contre tous ceux qui ont voté en faveur de telles lois», explique M. Schneider.

«Si nous n'avons pas cette conversation, c'est essentiellement parce que les militants du contrôle des armes savent que ça ne mène nulle part. Le lobby des armes est beaucoup trop puissant.»

Les démocrates du Congrès, dont plusieurs sont en faveur d'un contrôle plus étroit des armes à feu, n'ont pas oublié ce qui s'est passé en 1994, quand ils ont adopté une loi interdisant les fusils d'assaut.

Deux mois plus tard, les démocrates ont subi une défaite cinglante aux élections de mi-mandat. Le président Bill Clinton avait alors déclaré que le lobby des armes avait joué un rôle de premier plan dans cette défaite historique. L'interdiction des fusils d'assaut a expiré en 2004, sans être renouvelée par le Congrès.

Pire encore, souligne M. Schneider, la Cour suprême a statué en 2008 que le droit de posséder des armes, protégé par le deuxième amendement de la Constitution, est un droit individuel qui ne peut être enfreint par le gouvernement. Ce jugement a été considéré comme une victoire majeure pour le lobby des armes et signifie que tout politicien qui voudrait s'attaquer à cette question devrait aussi s'attaquer à la Constitution, une tâche décourageante et peu payante politiquement.

Les politiciens américains ne peuvent se permettre d'ignorer la National Rifle Association (NRA), le principal lobby des armes aux États-Unis. Le «Washington Post» a récemment évalué que la NRA avait réussi à faire élire 80 pour cent des candidats qu'elle soutenait aux élections de mi-mandat de 2010.

La NRA, qui compte quatre millions de membres, défend le droit des Américains de porter des armes en toutes circonstances.

«Quand ils vous disent qu'une interdiction gouvernementale sur certaines armes va assurer votre sécurité, ne les croyez pas une seconde, parce que c'est un mensonge comme les autres mensonges qu'ils vous ont racontés avant», a déclaré Wayne LaPierre, vice-président exécutif de la NRA, lors d'un récent rassemblement de l'organisation. «Leurs lois ne fonctionnent pas.»