La Pennsylvanie ne peut être considérée comme un château fort démocrate, mais c'est tout comme. Lors des cinq dernières élections présidentielles, cet État du Nord-Est américain a préféré le candidat de ce parti et, si on se fie aux sondages, il devrait en être de même en 2012.

Qu'à cela ne tienne, Mike Turzai, chef de file du Parti républicain à la Chambre de Pennsylvanie, a fait une prédiction à la fois osée et controversée le mois dernier: Mitt Romney, le probable candidat républicain à la présidence, enlèvera le Keystone State et ses 20 grands électeurs en novembre.

Et sur quoi ce dirigeant républicain fonde-t-il cette prédiction? Sur l'impact d'une nouvelle loi obligeant les électeurs de la Pennsylvanie à présenter une preuve d'identité avec photo pour pouvoir se prévaloir de leur droit de vote le jour de l'élection présidentielle.

Enregistré à son insu

Lors d'une réunion de militants du parti, Mike Turzai a déclaré que cette loi «permettra au gouverneur Romney de remporter l'État de Pennsylvanie». M. Turzai a profité de l'occasion pour énumérer les réalisations des législateurs républicains en 2012.

Les propos de Turzai, enregistrés à son insu et diffusés plus tard sur l'internet, ont conforté plusieurs démocrates dans l'idée que le but réel des lois comme celle adoptée en Pennsylvanie n'est pas de combattre les fraudes électorales, comme le prétendent les républicains, mais de restreindre l'accès à des électeurs susceptibles de voter pour les candidats du Parti démocrate.

Quelques semaines après la déclaration de Turzai, les responsables électoraux de la Pennsylvanie ont permis de quantifier le problème: selon les données officielles, plus de 758 000 citoyens de l'État dont les noms sont inscrits sur les listes électorales n'ont pas de permis de conduire, le document d'identité le plus souvent utilisé (les passeports et les cartes d'étudiant, notamment, sont également acceptés).

Ce nombre représente 9,2% des électeurs enregistrés en Pennsylvanie. En 2008, Barack Obama a remporté cet État par une marge de 10,3%.

Les critiques de la nouvelle loi la contesteront devant les tribunaux le 25 juillet. Ils feront notamment valoir que la mesure privera de leur droit de vote des milliers de personnes pauvres, âgées ou jeunes qui ne possèdent pas de permis de conduire ou un des documents d'identité valables.

Ces électeurs, selon les démocrates, sont aussi ceux qui sont les plus susceptibles de voter pour les candidats de leur parti.

Pas seulement la Pennsylvanie

La Pennsylvanie n'est pas un cas isolé. Depuis 2011, 10 autres États, dont le Wisconsin, le Rhode Island et l'Alabama, ont adopté des lois qui obligent les électeurs à présenter un document d'identité avec photo pour voter, une pratique inconnue il y a quelques années. Et 16 autres examinent des mesures semblables.

Les promoteurs républicains de ces initiatives tentent de les justifier en invoquant leur désir de combattre les fraudes électorales, un problème insignifiant, selon le Brennan Center for Justice. En revanche, les experts de cette organisation estiment à cinq millions le nombre d'électeurs qui pourraient être privés de leur droit de vote en novembre en raison des nouvelles lois.

La dimension partisane de ces mesures est parfois à peine cachée. Au Texas, par exemple, les législateurs ont inclus les permis de port d'armes parmi les documents valides, mais exclus les cartes d'étudiant et les cartes Medicaid (l'assurance maladie pour les moins nantis). Or, comme on peut s'en douter, les détenteurs de permis de port d'armes ont davantage tendance à voter pour les candidats du Parti républicain, alors que les étudiants et les personnes à faible revenu sont plus enclins à voter pour le Parti démocrate.

Le ministère de la Justice américain a cependant bloqué l'application de cette nouvelle loi. Le Texas fait partie des neuf États américains qui doivent obtenir le feu vert du gouvernement fédéral pour pouvoir changer leurs lois électorales en raison de leur passé ségrégationniste.

Le ministère de la Justice conteste également la campagne du gouverneur républicain de la Floride, Rick Scott, qui vise à «purger» des listes électorales de son État des personnes inscrites qui n'ont pas le droit de voter, puisqu'elles n'ont pas la citoyenneté américaine. Jusqu'à maintenant, cette purge a cependant ciblé par erreur des centaines d'électeurs en règle, dont William Internicola, un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale. L'homme de 91 ans, né à Brooklyn, a été «ahuri» de recevoir une lettre des responsables électoraux de la Floride l'enjoignant à prouver sa citoyenneté américaine, sous peine d'être rayé de la liste électorale de son comté.

«Êtes-vous fous?» a-t-il demandé à l'un de ces responsables au téléphone.

Dans son cas, la réponse ne fait pas de doute.