L'heure du grand rendez-vous de la campagne à l'investiture républicaine a sonné. Dix États sont en jeu mardi dans le cadre du «super mardi». Si, parmi les quatre candidats en lice, le modéré Mitt Romney fait figure de favori, il peine toujours à s'imposer auprès de la base du parti.

«Les Romney sont, par nature, une race aventureuse», écrit Mitt Romney dans son autobiographie, Turnaroud, évoquant le rôle pionnier de ses ancêtres - des charpentiers et des architectes - dans l'établissement de l'Église mormone.

Mais l'ancien gouverneur du Massachusetts se montre lui-même très peu audacieux dans le récit qu'il fait de la vie rocambolesque de son arrière-grand-père. «Finalement, Miles a été appelé à s'établir dans le nord du Mexique, où son fils, mon grand-père Gaskell, s'est marié et où mon père George a vu le jour», se contente-t-il d'écrire platement.

Il omet ainsi plusieurs détails remarquables, y compris le nombre de femmes de Miles - cinq - et la nature de la mission que lui avaient confiée les dirigeants mormons: fonder au Mexique une colonie devant servir de refuge à ses coreligionnaires devenus hors-la-loi aux États-Unis pour cause de polygamie.

Le silence de Mitt Romney sur cet aspect de son héritage familial est compréhensible. Le politicien de 64 ans brigue l'investiture d'un parti dont les adhérents les plus religieux et conservateurs considèrent l'Église mormone comme une secte. Et pourtant, selon plusieurs observateurs, cette réticence du prétendant républicain à s'ouvrir sur sa religion, élément crucial de sa vie, contribue à la difficulté de plusieurs électeurs à se reconnaître en lui.

C'est loin d'être le seul problème de Mitt Romney, dont les convictions politiques sont souvent mises en doute et dont la richesse personnelle semble parfois être plus un handicap qu'un atout. Mais il s'agit d'un problème «majeur» aux yeux du politologue Tom Whalen.

Un autre discours à la JFK?

«Les chrétiens évangéliques et les conservateurs sociaux vont rester chez eux en novembre s'il n'aborde pas de front la question de sa religion», dit le professeur de l'Université de Boston, qui conseille à Romney de prononcer un discours semblable à celui de John Kennedy sur son catholicisme en 1960.

Quand on lui rappelle que Romney a déjà fait un tel discours en 2008, l'universitaire réplique: «Quatre ans, c'est une éternité en politique. Il doit le faire maintenant.»

Dan Schnur, ex-stratège républicain, ne va pas jusqu'à recommander à Romney d'imiter JFK, mais il pense lui aussi que le candidat mormon ne doit plus occulter la question de sa religion. D'autant plus que l'homme a démontré - et les avis sont unanimes à ce sujet - une grande générosité envers les membres les plus démunis de sa communauté.

«Romney a peu à perdre en expliquant aux électeurs que sa foi l'a aidé à comprendre le sort des désavantagés», estime Schnur, qui dirige aujourd'hui l'Institut politique de l'Université de Californie du Sud.

Schnur conseille également à Romney de mettre fin à ses vains efforts pour «faire peuple». Il pense notamment à la visite récente du candidat sur le circuit de la course automobile du Daytona 500, point de départ du championnat NASCAR. À un journaliste qui lui a demandé s'il partageait la passion de l'Américain moyen pour ce sport, il a fourni une de ces réponses qui rappellent son statut de multimillionnaire: «Pas autant que certains fans. Mais j'ai quelques bons amis parmi les propriétaires d'équipes NASCAR.»

De dire Schnur: «Romney doit envisager une approche radicale: être lui-même.»

«Un mur. Une coquille. Un masque.»

Mais qui est le vrai Mitt Romney? Les journalistes du Boston Globe Michael Kranish et Scott Helman ont tenté de répondre à cette question dans The Real Romney, nouvelle biographie de l'ancien gouverneur du Massachusetts.

Ils ont révélé des faits méconnus sur la famille Romney, dont les circonstances de son détour mexicain (le grand-père et le père de Mitt sont rentrés aux États-Unis à la suite de la révolution mexicaine de 1910). Ils ont confirmé que Mitt était un mari, un père et un mormon exemplaire.

Ils ont raconté l'histoire de cet homme d'affaires qui a connu un succès phénoménal à la tête de la société d'investissement Bain Capital, et qui a accumulé une fortune personnelle de quelque 250 millions de dollars.

Mais ils ont également noté que Mitt Romney est demeuré un mystère pour la plupart de ceux qui l'ont côtoyé comme homme d'affaires et comme gouverneur du Massachusetts.

«Un mur. Une coquille. Un masque. Il y a plusieurs mots pour décrire le phénomène, mais plusieurs personnes qui ont connu Romney ou travaillé avec lui disent la même chose: il se comporte comme un homme à part, un homme qui semble parfois nous regarder sans nous voir», écrivent Kranish et Helman.

Mitt Romney aura donc hérité de l'ambition politique de son père George, qui a brigué en vain l'investiture républicaine pour l'élection présidentielle de 1968, après avoir été patron d'American Motors et gouverneur du Michigan. Mais il n'a pas hérité de son entregent.

«Et il ne l'acquerra jamais», dit Maurice Cunningham, politologue à l'Université du Massachusetts à Boston.

Le plus bas commun dénominateur

«Il y a chez lui un malaise palpable lorsqu'il est en contact avec les gens. À l'époque où il était gouverneur, il était d'ailleurs incapable d'avoir des relations normales avec les parlementaires», ajoute-t-il.

Qui est Mitt Romney? Les électeurs du Massachusetts ont déjà vu en lui un républicain modéré, centriste, dans la lignée des William Weld et Paul Cellucci, qui avaient réussi à se faire élire au poste de gouverneur de l'État avant lui.

Mais ils ont dû mal à reconnaître aujourd'hui ce Romney qui est passé, au cours des dernières années, de défenseur à adversaire du contrôle des armes à feu, des droits des minorités sexuelles et du droit des femmes à l'avortement, ainsi que de champion de l'environnement à sceptique en matière de changements climatiques.

«Ce n'est pas loin d'être une honte, cette façon de changer de position sur tous les sujets afin de se conformer au plus bas commun dénominateur de la base républicaine», dit Tom Whalen, politologue à l'Université de Boston.

«Il donne l'image d'un homme totalement insincère. C'est pourquoi il a du mal à conclure l'affaire avec les républicains. Les électeurs ne lui font pas confiance.»

Le Massachusetts fait partie des 10 États qui tiendront des scrutins aujourd'hui. Mitt Romney y remportera une victoire facile, selon Maurice Cunningham.

«Mais même ici, il n'y a pas beaucoup d'enthousiasme pour lui, dit le politologue. Les républicains respectent ses qualités d'homme d'affaires, mais il n'y a pas d'amour pour lui.»