Le Québec risque-t-il à terme, comme c'est le cas pour plusieurs États africains, de voir de vastes pans de son territoire agricole passer sous la coupe d'investisseurs étrangers en quête de profit ?

Bien que certains reportages faisant état de l'intérêt d'investisseurs chinois aient fait grand bruit dans la province il y a quelques années, le scénario apparaît très peu réaliste, note l'analyste François L'Italien.

« Il existe toute une série de barrières législatives pour décourager les investisseurs étrangers de venir acheter des terres au Québec », relève celui qui a étudié les enjeux de l'accaparement des terres pour la province à titre de chargé de projet pour l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).

La plus importante contrainte est sans doute la Loi sur l'acquisition de terres agricoles par des non-résidants, adoptée en 1979. Elle précise que les non-résidents ne peuvent procéder à de telles acquisitions sans l'assentiment de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ).

Pour se qualifier comme résidants, les personnes doivent être demeurées dans la province au moins 366 jours sur une période de deux ans. Des contraintes quant à la part du capital d'une entreprise devant être contrôlée par des Québécois sont aussi imposées.

La CPTAQ peut accorder des exemptions, qui restent généralement très limitées. En 2010-2011, 3000 hectares de terres avaient été visés par de telles demandes.

ACCAPAREMENT « ENTRE QUÉBÉCOIS »

Les exigences ont été relevées récemment par le gouvernement. La province, a expliqué le ministre de l'Agriculture, François Gendron, « veut donner un signal clair qu'on préfère que le Québec soit propriétaire de ses terres agricoles ».

Des facteurs techniques sont aussi susceptibles de limiter l'intérêt des investisseurs pour les terres québécoises, note M. L'Italien.

Le prix des terres québécoises ainsi que le coût local de la main-d'oeuvre sont sensiblement plus élevés que dans plusieurs autres pays. Le climat, qui limite la production, et le morcellement du territoire, qui complique la constitution de grands ensembles terrestres, jouent dans le même sens.

La problématique de l'accaparement de terres, au Québec, « se passe essentiellement entre Québécois », conclut M. L'Italien, qui note l'apparition dans la province de diverses entreprises et de fonds d'investissement intéressés par l'acquisition de terres.

Leur impact demeure pour l'heure limité, selon une étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), qui évalue « potentiellement » à 2 % la part des terres actuellement contrôlées par des capitaux privés.

Les chercheurs du CIRANO jugent « peu probable » que les investisseurs puissent rapidement s'arroger des parties importantes du territoire agricole québécois.

M. L'Italien n'en pense pas moins qu'il serait important pour le Québec de se doter d'une société d'aménagement et de développement agricole pour pouvoir surveiller les transactions et éventuellement bloquer les plus problématiques.

« L'objectif serait d'avoir un outil de dissuasion face aux investisseurs », note l'analyste de l'IREC, qui s'attend à ce que les milieux financiers manifestent un intérêt soutenu envers le secteur agricole dans les années à venir en raison des rendements escomptés.