Bagdad a décidé lundi d'aider les peshmergas face aux jihadistes, une rare coopération entre gouvernement et forces kurdes témoignant de l'aggravation de la situation dans le nord de l'Irak, où des milliers de civils ont dû fuir leurs foyers.

Depuis le lancement le 9 juin d'une offensive d'insurgés sunnites menés par les jihadistes de l'Etat islamique (EI), les relations historiquement difficiles entre le gouvernement central et la région autonome du Kurdistan irakien se sont encore tendues, les Kurdes profitant de la déroute de l'armée irakienne pour s'emparer de territoires disputés de longue date.

Mais face à l'avancée jihadiste, le premier ministre irakien Nouri al-Maliki a ordonné à l'armée de l'air d'apporter son soutien aux combattants kurdes, a annoncé le porte-parole de l'armée, Qassem Atta.

Aux raids promis par Bagdad s'ajoute l'aide des combattants du parti kurde syrien de l'Union démocratique (PYD) venus prêter main-forte aux peshmergas irakiens. Les relations entre le PYD et les forces kurdes d'Irak ont elles aussi été très tendues par le passé, mais «le PYD s'est rendu à Sinjar en réponse à une demande du peuple», a annoncé le groupe, qui combat l'EI en Syrie.

En 48 heures, l'État islamique a pris aux Kurdes plusieurs villes à proximité de la frontière syrienne, infligeant un sérieux revers aux peshmergas, pourtant réputés pour leur efficacité et leur organisation.

Les forces kurdes assuraient un barrage contre l'EI, dont l'offensive a mis en déroute l'armée irakienne et abouti à la proclamation d'un califat sur un territoire à cheval entre l'Irak et la Syrie.

Mais les peshmergas sont sous pression en raison de difficultés financières et du poids que représente la sécurisation d'un territoire élargi de 40%.

Signe de leur affaiblissement, ils ont perdu dimanche trois villes, dont Sinjar, à 50 km de la frontière syrienne. La ville, qui compte 310 000 habitants, accueille aussi des dizaines de milliers de réfugiés ayant fui devant l'avancée des insurgés sunnites dans la région.

La veille, les jihadistes avaient pris le contrôle de Zoumar, et ils menacent désormais le barrage de Mossoul, le plus grand du pays.

Mossoul elle-même, deuxième ville d'Irak, est aux mains des insurgés depuis près de deux mois.

«Les peshmergas sont bien entraînés, bien équipés et motivés, mais clairement plus efficaces pour défendre leurs positions, sur leur propre terrain, que pour combattre dans les plaines arabes de l'Irak», souligne Peter Harling, de l'International Crisis group.

«Nettoyage ethnique»

Les combats ont chassé de chez eux près de 200 000 personnes, s'est alarmé l'ONU dimanche, évoquant une «tragédie humanitaire».

Précédés par leur réputation de cruauté forgée à coup de pendaisons et d'exactions à l'encontre de tous ceux qu'ils considèrent comme «infidèles», les jihadistes ont fait fuir les populations en quelques heures à peine.

«Ils n'ont pas beaucoup d'armes, mais leur propagande est très efficace. A Sinjar, ils ont envoyé des messages informant qu'ils allaient prendre la ville dans l'heure, et tout le monde a fui», raconte Abou Assad, un Turcoman chiite de 50 ans parti vers Dohouk, dans la région autonome du Kurdistan irakien, avec son épouse et leurs 7 enfants.

Des centaines de turcomans chiites s'étaient réfugiés à Sinjar après avoir fui Tal Afar, une ville à une cinquantaine de km plus à l'est tombée aux mains des insurgés le 23 juin.

Aux Turcomans s'ajoutent de nombreux Yazidis, une minorité kurdophone considérée comme des adorateurs de satan, et désormais en grand danger, selon des militants.

«Ce que l'EI a fait contre les Yazidis à Sinjar relève du nettoyage ethnique», a déclaré Khodhr Domli, un militant des droits de l'Homme yazidi basé à Dohouk.

«Il y a encore des milliers de personnes faisant route vers Dohouk, mais des milliers d'autres sont coincées dans les montagnes de Sinjar. Il y a des personnes âgées parmi elles, des enfants. Ils n'ont ni eau, ni nourriture. Certaines ont déjà trouvé la mort», a-t-il dit à l'AFP.

«Le dernier contact qu'on a eu remonte à la nuit dernière mais aujourd'hui on n'a pas réussi à communiquer avec elles», a-t-il poursuivi.

L'Union européenne a exprimé dans un communiqué sa «profonde inquiétude» quant à l'impact humanitaire et sécuritaire des assauts de l'EI sur la région.

Les jihadistes sont déterminés à étendre leur emprise sur les territoires tenus par les Kurdes dans le nord de l'Irak.

«Les brigades de l'État islamique ont maintenant atteint le triangle entre la Turquie, la Syrie et l'Irak. Que Dieu permette à ses moujahidine de libérer la région entière», a indiqué l'EI dans un communiqué.