La proclamation dimanche en Irak d'un califat islamique, dans la foulée des succès remportés par l'insurrection sunnite, représente une menace existentielle pour le réseau Al Qaïda, estiment des experts.

Face au chef de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), Abou Bakr al-Baghdadi, désormais proclamé «calife Ibrahim», l'Égyptien Ayman al-Zawahiri, successeur désigné d'Oussama ben Laden, faisait déjà depuis des mois pâle figure, surtout aux yeux des jeunes générations attirées ou fascinées par le djihad, qui le trouvaient trop vieux et pas assez entreprenant.

Depuis 2013, le chef de l'EIIL refusait de reconnaître son autorité. Désormais il la conteste ouvertement.

«La compétition (entre les deux mouvements) est désormais engagée, et nous allons voir qui va en dicter les termes», confie à l'AFP Magnus Ranstorp, fin connaisseur de l'islamisme radical au sein du Collège national de défense suédois. «Al-Baghdadi, qui avait déjà refusé de faire allégeance à Al-Zawahiri, peut désormais dire: regardez ce que nous avons accompli! Nous agissons, bâtissons le califat. Vous, vous êtes on ne sait où, à faire des discours sur internet».

«Le califat a toujours été le but ultime», ajoute-t-il. «EIIL a commencé à le faire, et cela va leur apporter une énergie supplémentaire. Ils contrôlent un territoire. C'est pour cela que tant de volontaires venus du monde entier les rejoignent, via la Syrie, c'est pour cela qu'il y a parmi eux tellement de femmes. Le génie est maintenant sorti de la bouteille, impossible de l'y faire retourner».

Une question de temps 

Dans la proclamation, largement diffusée sur internet, de la création de «l'État islamique», le porte-parole d'EIIL Abou Mohammad al-Adnani a été clair: il a annoncé que s'ouvrait «une ère nouvelle pour le djihad international». Il a déclaré: «Nous précisons à tous les musulmans qu'avec la déclaration du califat, il leur est désormais obligatoire de prêter allégeance au calife Ibrahim et de le soutenir. La légalité de tous les émirats, groupes, États et organisations devient nulle au moment de l'expansion du califat et de l'arrivée de ses troupes dans leurs territoires».

Un appel auquel un premier groupe d'insurgés islamistes en Syrie, Jeish al-Sahaba («l'armée des compagnons»), a immédiatement répondu. Il a publié le jour même sur son compte Twitter un communiqué annonçant sa dissolution et son intégration au sein des forces du nouveau calife.

Dans une analyse transmise par courriel, le chercheur Charles Lister, du groupe de réflexion Brookings Doha, écrit: «Pour dire les choses simplement, Abou Bakr al-Baghdadi a déclaré la guerre à Al Qaïda. Même s'il est inévitable que des membres éminents d'Al Qaïda et leurs partisans vont rapidement dénoncer Al-Baghdadi et sa proclamation, à long terme les répercussions seront significatives».

«La jeune génération de djihadistes soutient de plus en plus l'EIIL, essentiellement à cause de sa capacité prouvée à obtenir des résultats rapides par sa brutalité», assure-t-il. «La prise récente de Mossoul et ses autres gains en Irak a déjà augmenté de façon dramatique le potentiel de recrutement de l'EIIL», selon lui.

Il est probable que les autres mouvements affiliés à Al Qaïda, et dont les chefs ont fait allégeance à Al-Zawahiri, vont, au moins dans un premier temps, rester fidèles à leur serment. Mais si le calife Ibrahim parvient à assoir son pouvoir, dans les territoires qu'il a conquis à cheval entre la Syrie et l'Irak, et à repousser la contre-attaque de Bagdad, soutenue par les forces chiites et les États-Unis, son prestige sera tel que les ralliements pourraient se multiplier, estiment les experts.

«Dans sa proclamation, l'État islamique a clairement fait savoir qu'il considèrerait tout groupe qui refuserait de lui prêter allégeance comme un ennemi de l'islam», ajoute Charles Lister.

Dans les zones tenues par les rebelles en Syrie, les affrontements entre l'EIIL et d'autres groupes radicaux contestant son pouvoir ont fait, au cours des derniers mois, des milliers de victimes.

Pour Anour al-Eshki, directeur de l'Institut d'études stratégiques de Jeddah (Arabie Saoudite), ce n'est qu'une question de temps. «Daesh (acronyme de l'EIIL en arabe) entrera en compétition avec Al Qaïda. Il est comme le Pacman (petit personnage glouton de jeux vidéos): il dévore tous les groupes terroristes sur son passage».