Après les tentes, les cabanes. Conscients qu'ils ne résisteront pas aux rigueurs de l'hiver québécois, les indignés du mouvement Occupons Montréal soumettront mardi à la Ville des plans pour construire une dizaine de cabanes, pouvant loger environ 80 personnes, au square Victoria.

Les plans des cabanes ont été dessinés par un architecte «indigné» qui campe depuis trois semaines au centre-ville. Ils respectent les normes de la Régie du bâtiment, assure Félix Saint-Laurent, l'un des porte-parole du mouvement.

«Ce ne sont pas des palaces. Ça ressemble plutôt à des cabanes pour la pêche blanche. L'idée, c'est que l'on puisse passer l'hiver en sécurité, sans perdre d'orteils à cause des engelures.»

La Ville de Montréal donnera-t-elle le feu vert à ces constructions? «On verra. Ce ne sont pas des petites plaquettes de bois qui vont leur permettre de rester quand il va faire très froid», s'est contenté de dire le maire Gérald Tremblay, lundi, en point de presse.

Tolérance à Montréal

Alors que plusieurs villes canadiennes, dont Québec, Victoria et Vancouver, exigent le démantèlement des campements sous prétexte qu'ils sont dangereux ou insalubres, Montréal continue de faire preuve de tolérance à l'égard des manifestants.

«Ça prouve que Montréal est une ville différente. On veut montrer à l'échelle planétaire que si on est capables de vivre en harmonie, c'est parce qu'on respecte des gens qui peuvent avoir un point de vue différent du nôtre», a dit le maire Tremblay.

Environ 80 manifestants purs et durs seraient prêts à occuper le square Victoria tout l'hiver. Certains ont déjà commencé à construire cabanes, yourtes et tipis, isolés avec des panneaux de styromousse et de la laine minérale. Tout cela sous l'oeil bienveillant des policiers et des pompiers, qui leur offrent régulièrement des conseils de sécurité.

«Cela se passe trop bien! Les policiers sont extrêmement gentils et coopératifs, au point que certains trouvent ça louche. Ils se demandent ce qui se cache derrière tout ça», raconte Martin Jolicoeur, militant de la première heure.

«À Québec, les indignés se font harceler. Ici, les policiers ne nous dérangent pas. Ils nous laissent même le temps de régler les problèmes par nous-mêmes avant de s'en mêler. Par exemple, quand un gars a grimpé sur la statue de la reine Victoria, ils nous ont laissé lui parler pendant deux heures et demie. Finalement, les policiers sont intervenus pour le faire descendre, parce que nous n'y arrivions pas...»

C'est que les indignés ne sont pas des travailleurs sociaux... même si c'est un peu ce qu'ils sont devenus, depuis trois semaines, par la force des choses.

Un refuge à ciel ouvert

«Nous n'avons plus besoin de couvertures chaudes. Ce dont nous avons besoin, c'est de l'aide» pour assister les toxicomanes, les sans-abri et les gens souffrant de problèmes de santé mentale qui ont envahi le square Victoria. «Nous ne sommes pas outillés pour faire face à ce problème», dit Félix Saint-Laurent.

Les gens de la rue sont nombreux à avoir pris d'assaut le campement, qui offre des vêtements gratuits et des centaines de repas chauds chaque jour. À tel point que les indignés consacrent désormais la majeure partie de leur temps à tenter de soutenir ces «multipoqués» et à gérer les problèmes engendrés par leur présence.

«Je passe 15 heures par jour à m'occuper du gars trop stoned, du gars trop saoul et de l'autre qui est pris dans une psychose paranoïde. C'est l'accueil Bonneau version 2.0», dit Félix Saint-Laurent.

«Je fais du travail social et de la psychiatrie, moi qui suis machiniste de formation! Nous n'en pouvons plus. Nous avons besoin de l'aide de gens qualifiés.»

Agressions sexuelles, attaques, surdoses: camper au centre-ville comporte des risques, comme l'ont prouvé les événements des derniers jours au Canada et aux États-Unis. Une dizaine de militants munis de radios patrouillent dans le square Victoria toutes les nuits afin d'assurer la sécurité des campeurs.

La mort par surdose d'une jeune femme de 23 ans au campement de Vancouver, samedi, fait craindre le pire aux indignés de Montréal. «On ne veut pas qu'une personne meure ici. C'est notre grande crainte», confie Félix Saint-Laurent.

Un tel drame guette le square Victoria et risque d'être utilisé comme prétexte pour ordonner son évacuation, estime-t-il. «Ce qui s'est passé est vraiment dommage, mais ce n'est pas la faute du mouvement. Si cette jeune fille n'était pas morte au campement d'Occupy Vancouver, elle serait probablement morte dans un autre parc, et personne ne se serait soucié d'elle.»

- Avec la collaboration de Pierre-André Normandin