L'armée égyptienne a donné un ultimatum de 48 heures au président Mohamed Morsi, hier. S'il ne satisfait aux demandes du peuple, l'armée menace d'imposer sa «feuille de route». Un coup d'État se prépare-t-il? Pour comprendre la situation, La Presse a posé quatre questions à Sami Aoun, directeur de l'Observatoire sur le Moyen-Orient à la chaire Raoul Dandurand de l'UQAM.

Plus de deux ans après la révolution, pourquoi les Égyptiens sont-ils à nouveau dans les rues?

Le 30 juin marquait le premier anniversaire de l'élection de Morsi, issu des Frères musulmans. Un an plus tard, un ras-le-bol ramène les gens dans la rue. L'économie ne va pas bien, il y a un net recul du pouvoir d'achat et l'inflation pèse lourd sur les classes moyennes. Il y a aussi la piètre gestion des Frères musulmans de leurs relations avec les autres forces politiques. Finalement, il y a une surdose d'islamisation. Comme si les Frères musulmans n'acceptaient pas les exigences de vivre dans un forum démocratique et libéral. On les soupçonne de vouloir recycler les pratiques autoritaires du pouvoir. Ce n'est pas simplement le départ du président qui est réclamé. Les gens sentent que le régime n'est pas fidèle aux idéaux de la révolution du 25 janvier 2011. Ces turbulences sont des répliques du séisme de la révolution.

Qui est dans la rue?

Le mouvement social Tamarrod (rébellion, en arabe) qui réclame le départ du président Morsi est composé de plusieurs couches sociales. Il y a des anti-islamistes, des nationalistes, des libéraux, des laïques, des partis traditionnels. Il y a surtout un retour en force des jeunes de la première révolution de 2011. Ils sont ouverts aux valeurs mondiales. Ce qui est nouveau, c'est qu'on voit aussi des gens des régions rurales connues pour leur conservatisme. Avec l'armée qui leur donne maintenant son support moral, on peut comprendre pourquoi il y a 14 millions de personnes dans les rues.

Quel rôle joue l'armée dans ce conflit? Doit-on craindre un coup d'État ?

L'armée a donné un ultimatum à toute la classe politique, pas seulement au président Morsi. Mais elle n'a pas indiqué comment elle conçoit la transition. Un coup d'État militaire est peu probable même s'il ne faut pas l'écarter. La voie à privilégier est un forcing pour freiner la «surislamisation». L'armée devra éviter de laisser le chaos s'installer, car il pourrait mener à la guerre civile. L'Égypte a rarement connu des guerres civiles. Mais cette fois, il y a des armes qui circulent, on voit des morts [16 personnes ont perdu la vie dans les manifestations de dimanche]... C'est annonciateur d'une possible violence civile.

Les dernières manifestations marquent-elles un retour en arrière ou un apprentissage de la démocratie ?

C'est une période de transition turbulente, qui est aussi un certain apprentissage de la démocratie. Mais l'échec de l'islamisme politique dans son intégration des valeurs libérales et démocratiques devient criant. Les Frères musulmans ont embarqué dans la révolution comme des opportunistes et non pas comme des porteurs d'un vrai projet révolutionnaire, alors que le premier moment révolutionnaire était libéral. Est-ce que les récentes turbulences déboucheront sur une période de dictature militaire? Ce n'est pas à écarter. Est-ce que ça débouchera sur une rationalisation du jeu politique et des Frères musulmans? Cela est aussi possible. On a actuellement un séisme qui pourrait être fondateur de la révolution égyptienne. Peut-être que le 30 juin 2013 est la date de la véritable révolution égyptienne et démocratique. Est-ce que cette transition durera une décennie? Quelques mois? Ça reste à voir.