Dans la cour d'une maison à Raqqa, hommes et femmes maquillées dansent en se trémoussant sur une musique folklorique pour célébrer le mariage d'Ahmad et de Heba: une scène inimaginable dans la ville syrienne sous l'emprise djihadiste il y a encore quelques mois.

D'après les habitants de Jazra, quartier périphérique de l'ouest de Raqqa, il s'agit du premier mariage célébré dans la ville ravagée depuis l'éviction du groupe ultraradical État islamique (EI) le 17 octobre après trois ans de contrôle.

Un meneur entraîne avec lui hommes et femmes se tenant par la main dans une dabké, une danse folklorique levantine généralement pratiquée dans les mariages et les fêtes, alors que l'EI avait interdit mixité et toute forme de danse, de musique et de chant.

Les airs de musique se mêlent au vacarme des générateurs du quartier, dont les murs ravagés et les maisons abandonnées portent encore les séquelles de plus de quatre mois de combats et de bombardements.

«Le retour de la joie»

Jazra a été parmi les premiers quartiers libérés par une alliance arabo-kurde soutenue par les États-Unis. La famille du marié a eu la chance de pouvoir revenir il y a un mois dans la ville, encore désertée par la majeure partie de sa population.

«Nous sommes très heureux. C'est le premier mariage après le départ des jihadistes», se félicite Othmane Ibrahim, le père d'Ahmad, en recevant les invités dans le hall.

«Avant l'EI, il y avait des dabkés, des chansons folkloriques de la région dans nos mariages mais l'EI les avait tous interdits. Il n'y avait aucune célébration», affirme ce quinquagénaire à l'AFP.

«Aujourd'hui, c'est le retour de la joie», ajoute-t-il, le visage rayonnant.

Par moments, un septuagénaire entonne des mawals, ces poèmes chantés sans musique répandus dans le monde arabe, tandis que des femmes poussent des youyous.

Pour l'occasion, les invités se sont mis sur leur trente-et-un: les femmes, restées pendant trois ans cachées derrière leur niqab noir, portent des abayas fleuries et ont mis du rouge à lèvres.

Sur leurs chaises, les mariés apparaissent un rien nerveux, Ahmad, 18 ans, très bronzé et en jellabiya (robe masculine traditionnelle) marron, Heba portant une opulente robe de mariée blanche et un voile décoré de fleurs.

Sa main ornée de henné caresse nerveusement un bouquet de fleurs artificielles, tandis que des femmes photographient le couple avec leurs portables.

Tout près, des petites filles elles aussi maquillées à outrance, avec notamment du rouge à lèvres et des paupières noircies au khôl, se déhanchent au rythme de la musique. À leur poignet, des bracelets colorés en plastique.

D'autres enfants distribuent de l'eau ou ramènent des chaises aux nouveaux arrivants.

Les parfums se mélangent et partout le sourire se lit sur les visages.

«Cela fait longtemps qu'on n'a pas fait la fête», se réjouit une cousine, Oum Ahmad, 25 ans, les cheveux lâchés sur les épaules.

«La fête comme on veut»

Khalaf al-Mohammad, autre cousin du marié, est également aux anges.

«Cela fait des années que nous n'avons pas dansé la dabké, je prends de nouveau goût à la vie», confie cet homme de 27 ans après avoir entraîné un groupe d'hommes et de femmes dans la danse, en faisant tournoyer un chapelet en l'air.

«Tout le monde attendait ce moment. Quel sens avait un mariage quand tout était noir?», s'écrie-t-il, en référence notamment au drapeau de l'EI et aux abayas sombres des femmes.

«Aujourd'hui tout est blanc», constate-t-il avec un sourire.

La ville est encore largement inhabitable, en raison notamment des mines laissées par l'EI et des maisons dévastées. Mais ce mariage est perçu, malgré l'absence des déplacés et la disparition de proches dans la bataille, comme un signe d'espoir.

«Raqa redeviendra heureuse», lance Khaldiya, tante du marié, en jouant de la derbaké, un instrument à percussion oriental.

«Personne ne nous interdira de chanter et de danser», assure cette femme de 30 ans. «On fera la fête comme on veut.»