Si leur mission consiste principalement à épauler et former les forces kurdes qui combattent l'EI en Irak, les soldats canadiens font tout de même face à des attaques qu'on dirait sorties d'un film hollywoodien.

Les 4 x 4 blindés débouchent au sommet de la montagne dans un nuage de poussière. Des soldats canadiens lourdement armés, bardés de gadgets technologiques, en sortent et s'avancent vers un rempart d'où ils embrassent l'horizon. L'endroit leur est familier : c'est ici qu'ils ont fait face pendant des mois aux djihadistes du groupe État islamique (EI), dont les tactiques meurtrières leur semblaient parfois sorties d'un film post-apocalyptique.

La Presse a accompagné hier les forces d'opérations spéciales canadiennes dans le nord de l'Irak, où elles offrent depuis 2014 assistance et entraînement aux combattants kurdes locaux qui luttent contre l'EI.

Les soldats d'élite canadiens, dont plusieurs cachent leur visage et leur nom pour des motifs de sécurité, n'avaient jamais accordé un accès aussi poussé aux médias depuis le début de leur mission. Jusqu'à il y a environ un mois, le mont Zardak marquait la ligne de front. « Quand je suis arrivé ici, on voyait les drapeaux de Daech [acronyme arabe de l'EI] dans les villages ici en bas », explique le lieutenant-colonel Steven Hunter, du Régiment d'opérations spéciales du Canada.

Depuis, les djihadistes se sont repliés vers Mossoul, la plus grande ville dont ils gardent le contrôle, à 15 km de là. Du haut de la montagne, on devine l'agglomération à travers le brouillard, du côté d'où proviennent des sons sourds intermittents, parfois isolés, parfois en série rapprochée.

« Entendez-vous les explosions ? », demande le lieutenant-colonel. La bataille fait rage tout près.

LES « VÉHICULES MAD MAX »

Tirs de mortier, assaillants en vestes explosives, tireurs embusqués : les forces d'opérations spéciales canadiennes déployées dans la région depuis 2014 ont affronté avec leurs partenaires kurdes toutes sortes de risques du haut de cette montagne. Car ils tenaient à faire l'entraînement et l'encadrement directement sur le front, plutôt qu'installés à l'arrière.

L'une des menaces dont ils ont les plus vifs souvenirs est ce qu'ils appellent les « véhicules Mad Max », du nom du film-culte de poursuites dans le désert : des voitures ou des camions bourrés d'explosifs que les djihadistes renforcent artisanalement avec toutes sortes de barres et de plaques de métal, avant d'y installer un candidat au martyre qui se lance à toute allure vers leurs ennemis, suivi d'autres véhicules bondés de combattants prêts à l'action.

Les Canadiens racontent comment ils ont aidé à détecter des préparatifs d'attaque de ce genre et à faciliter une frappe commandée par les troupes kurdes sur la formation ennemie avant qu'elle ne se mette en branle. Avec l'aide d'outils technologiques qu'ils gardent secrets, les conseillers voyaient très bien ce qui se tramait derrière les lignes de l'EI.

« Quand on quittait et qu'on revenait ici ensuite, on observait souvent que le nombre d'ennemis avait augmenté pendant notre absence », raconte un sergent originaire de l'Outaouais, dans la jeune trentaine.

« Là-bas, il y avait toujours des motos et quelques véhicules qui faisaient l'approvisionnement. Ç'a été facile de les neutraliser », dit-il.

L'état-major canadien refuse de dire combien de fois exactement ses soldats ont eu eux-mêmes à ouvrir le feu, mais il admet que c'est arrivé de « plus en plus souvent » ces derniers mois.

« La situation est encore très fluide et volatile. Daech offre une résistance très opiniâtre », explique le brigadier général Peter Dawe, commandant des forces spéciales canadiennes.

POUSSÉS À OUVRIR LE FEU

Les règles de la mission stipulent que l'usage de la force par les Canadiens ne doit pas être planifié. Le plan est de laisser les Kurdes combattre tout en les conseillant en direct et en leur enseignant le maniement d'armes, les soins médicaux, la façon de commander des frappes aériennes.

Mais la guerre est faite d'imprévus, et les forces spéciales peuvent tirer elles-mêmes si la chose s'avère soudainement nécessaire pour se défendre, défendre leurs partenaires kurdes ou des civils.

Lorsque les forces kurdes étaient engagées dans leurs plus violentes batailles, les forces spéciales les aidaient aussi à s'occuper de leurs blessés. De quoi tisser des liens serrés. La camaraderie qui unit les deux groupes est aujourd'hui évidente.

« Nous croyons que les Canadiens ont envoyé de bons soldats ici. Nous apprenons beaucoup d'eux », affirme le général Aziz Weisi, un officier kurde qui a dirigé la reprise de nombreux territoires aux djihadistes en prévision de la bataille de Mossoul.

« Sans eux, nous ne serions pas un success story », laisse-t-il tomber avec le sourire.

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UN HOCKEYEUR DEVENU SOLDAT

Le commandant adjoint des forces d'opérations spéciales du Canada est le brigadier général Peter Dawe, qui effectuait sa première visite sur le terrain de la mission en même temps que La Presse. Natif de Québec, l'officier de 46 ans a passé sa jeunesse à affronter des tirs... de rondelles. Gardien de but des Saguenéens de Chicoutimi dans le hockey junior, il n'a amorcé sa carrière militaire qu'après avoir réalisé qu'il n'aurait probablement jamais sa place dans la Ligue nationale de hockey.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, LA PRESSE

Peter Dawe