Le groupe État islamique (EI) apparaît encore plus fragilisé après la mort de l'un de ses stratèges, Abou Mohammed al-Adnani, dans une frappe dont les États-Unis et la Russie se disputent la paternité.

Le « ministre des attentats » de l'EI, comme il a été surnommé, a été tué à 39 ans dans le nord de la Syrie où il était venu superviser des unités de combattants djihadistes.

> Réagissez sur le blogue de Richard Hétu

Après l'annonce de sa mort mardi soir par l'EI, Washington a affirmé que son aviation l'avait ciblé près de la ville d'Al-Bab, sans toutefois confirmer sa mort. Cette version a été contestée mercredi par la Russie, selon laquelle il a été tué par une frappe d'un bombardier russe contre un groupe d'une quarantaine de djihadistes.

La liquidation d'Adnani est la troisième d'un haut responsable djihadiste en cinq mois et elle isole encore davantage l'introuvable chef du groupe, Abou Bakr al-Baghdadi, pour lequel les États-Unis promettent 10 millions de dollars pour toute information.

« L'assassinat d'Adnani est un signal que l'EI n'est plus en mesure de protéger ses leaders les plus importants », affirme à l'AFP Hicham al-Hachemi, spécialiste des mouvements djihadistes en Syrie et en Irak, deux pays où l'EI a autoproclamé son califat en 2014.

« Les jours de Baghdadi sont comptés », avance Patrick Skinner, du groupe d'expertise Soufan, « car il est trop connu pour passer incognito ». « Au fur et à mesure que la pression s'accroît sur le groupe, les membres commencent à divulguer des secrets et les témoins voient davantage de choses », souligne-t-il.

L'expert Charles Lister estime, pour sa part, que les États-Unis ont probablement « acquis une source de renseignement ayant un accès privilégié aux activités de la direction » du groupe, ce qui devrait encore renforcer la paranoïa dans ses rangs.

« Discours explosif »

Tous les observateurs s'accordent sur la prééminence d'Adnani dans l'organisation de l'EI, un groupe ultrasecret dont le fonctionnement reste mal connu.

« Privé de son discours explosif, l'EI devrait avoir du mal à inspirer les niveaux intenses de violence qu'il inspirait ces derniers temps », estime Charles Lister.

Selon lui, de récentes indications laissaient penser que l'EI envisageait de faire d'Adnani le successeur de Baghdadi comme « calife ».

Sa disparition va porter « un nouveau coup important à l'EI », car il était le « principal architecte des opérations extérieures » du groupe, a résumé le porte-parole du Pentagone Peter Cook.

Selon lui, le chef « a coordonné le mouvement des combattants de l'EI, encouragé directement les attaques par des loups solitaires sur des civils et des membres de l'armée, et activement recruté de nouveaux partisans ».

Adnani s'est notamment illustré en exhortant les partisans de l'EI à passer à l'action dans leur pays d'origine en utilisant n'importe quelle arme disponible contre les ressortissants des pays de la coalition. Cet appel aurait notamment inspiré des attentats en Europe.

Un responsable américain de la Défense a cité à ce sujet plusieurs « opérations importantes » comme les attentats à Paris, à Bruxelles et à l'aéroport d'Istanbul, dans un café au Bangladesh ou encore contre un avion russe dans le Sinaï, en Égypte. Ces attaques ont fait au total, d'après cette source, plus de 1800 morts et près de 4000 blessés.

« Déclin de l'EI »

Pour Aymenn Jawad Al-Tamimi, autre expert des mouvements djihadistes, sa disparition est « symboliquement importante et, plus largement, une indication du déclin du groupe État islamique ».

Elle intervient alors que les revers militaires se succèdent pour cette organisation. En Irak, son fief de Mossoul est menacé par une offensive des troupes gouvernementales. En Syrie, il a récemment été chassé par les forces antidjihadistes appuyées par Washington de la ville carrefour de Minbej, et a perdu la localité de Jarablos face aux forces turques entrées en action en Syrie. Et en Libye, la perte totale de son bastion de Syrte paraît imminente.

Originaire d'Idleb, dans le nord-ouest syrien, selon une biographie de l'EI, Adnani s'était engagé dans le djihadisme au début des années 2000, prêtant allégeance au redouté chef d'Al-Qaïda en Irak (précurseur de l'EI) Abou Moussab al-Zarqaoui.

Le 29 juin 2014, il avait annoncé dans un enregistrement audio « le rétablissement du califat » par le groupe EI et la désignation de Baghdadi comme « calife ».

Sa disparition intervient après celle, annoncée en juillet par l'EI, d'Omar al-Shishani dit « Omar le Tchétchène », un commandant important tué près de Mossoul en Irak. Le 25 mars, Washington avait révélé « l'élimination » dans une opération américaine en Syrie d'Abdel Rahmane al-Qadouli, présenté comme le N.2 de l'EI.

Qui a tué Adnani?

Le haut responsable djihadiste faisait partie, selon le ministère russe de la Défense, d'un groupe d'une quarantaine de combattants de l'EI tués mardi par une frappe d'un bombardier russe Su-34 près du village de Oum Hoch, dans la région d'Alep.

«Parmi les terroristes liquidés se trouvait, selon des informations confirmées par divers canaux, le chef de guerre Abou Mohammed al-Adnani, plus connu comme le porte-parole du groupe terroriste État islamique», a indiqué le ministère dans un communiqué.

« Une blague »

La revendication par Moscou de la mort en Syrie du numéro deux de l'EI, Abou Mohammed al-Adnani, est « une blague », a affirmé mercredi un responsable américain de la Défense.

Le bombardement qui a visé Adnani, dont la mort a été annoncée par le groupe djihadiste et que les États-Unis ont affirmé avoir ciblé, a été réalisé par un drone américain Predator, a précisé le responsable américain.

Le groupe djihadiste a annoncé mardi la mort d'al-Adnani dans la province d'Alep, alors qu'il «inspectait les opérations militaires», mais sans préciser la date, ni les circonstances de sa mort.

Le Pentagone a ensuite affirmé que la coalition internationale antidjihadiste menée par les États-Unis avait mené une frappe aérienne près d'Al-Bab, dans le nord-est d'Alep, ciblant Abou Mohammed al-Adnani mais en précisant que le résultat de cette frappe était encore en cours d'évaluation.

La Russie mène depuis septembre 2015 une campagne de frappes aériennes en soutien aux forces de Bachar al-Assad. Elle mène notamment des bombardements autour d'Alep, deuxième ville du pays, où s'affrontent âprement les troupes gouvernementales et divers groupes rebelles.