La Tunisie a subi lundi des attaques simultanées «sans précédent» dans une région voisine de la Libye, attribuées par les autorités au groupe État islamique (EI), lors desquelles au moins 36 djihadistes, onze membres des forces de l'ordre et sept civils ont été tués.

Déjà frappée en 2015 par une série d'attentats sanglants, la Tunisie a annoncé la fermeture des postes frontaliers et le renforcement des patrouilles y compris aériennes à sa frontière avec la Libye, où le chaos profite notamment à l'EI.

«Le but de cette attaque était de troubler la situation sécuritaire dans notre pays et d'établir un émirat de DAECH à Ben Guerdane», a dit le chef du gouvernement Habib Essid, faisant référence à l'EI par un acronyme arabe.

«Mais grâce à tous les efforts, à la coopération entre notre armée nationale et nos forces de sécurité intérieure, la réaction a été forte et rapide», a-t-il ajouté.

Perpétrées à l'aube, ces attaques ont visé une caserne de l'armée, un poste de police et un poste de la garde nationale (gendarmerie) tunisiennes à Ben Guerdane, localité de 60 000 habitants toute proche du territoire libyen.

Dans un bilan encore provisoire, les ministères de la Défense et de l'Intérieur ont indiqué que 36 djihadistes, six gendarmes, trois policiers, un douanier et un soldat avaient péri. Sept civils ont également été tués, dans des circonstances non précisées.

Le nombre total de djihadistes impliqués n'est pas connu, mais les autorités ont souligné que sept d'entre eux avaient été arrêtés et que des opérations étaient toujours «en cours pour pourchasser des terroristes».

En fin d'après-midi, des échanges de tirs ont de nouveau été rapportés par des témoins.

Hedi, un habitant de la ville, a raconté sur la radio privée Shems FM que des hommes armés qu'il avait croisés s'étaient réclamés de l'EI. «Ils ont dit: "N'ayez pas peur, nous sommes l'État islamique"». Ils nous ont dit de dire Allah Akbar (Dieu est grand, NDLR), nous avons dit Allah Akbar».

«Nouvelle province»

«Il s'agit d'une attaque sans précédent, coordonnée», a réagi le président Béji Caïd Essebsi. «Les Tunisiens sont en guerre contre cette barbarie et ces rats que nous allons exterminer», a-t-il enchaîné, dans des propos retransmis par la télévision publique.

Un couvre-feu est entré en vigueur à Ben Guerdane à 19 h (13 h, heure de Montréal), jusqu'à mardi 5 h (23 h lundi à Montréal).

Les forces de l'ordre patrouillaient dans les rues et ont incité par haut-parleur les citoyens à rester chez eux, selon un correspondant de l'AFP sur place. Des soldats montaient la garde du haut de certains toits.

Outre la fermeture des postes-frontières pour une durée indéterminée, les autorités avaient aussi bouclé en matinée la route côtière reliant Ben Guerdane à Zarzis (nord).

La Tunisie est confrontée depuis sa révolution de 2011 à l'essor d'une mouvance djihadiste responsable de la mort de dizaines de policiers et de soldats ainsi que de touristes.

Cette attaque simultanée contre des installations sécuritaires, d'ampleur inédite, intervient moins d'une semaine après de premiers heurts armés dans cette même région.

Washington condamne les attaques et offre son aide

Les États-Unis ont « condamné avec force » les attaques « terroristes » en Tunisie attribuées au groupe État islamique et ont proposé leur aide au régime de Tunis que Washington considère comme la seule réussite démocratique du Printemps arabe.

Le porte-parole du département d'État John Kirby a salué « la réponse rapide et courageuse des forces de sécurité tunisiennes » face à des attaques simultanées.

Le porte-parole américain n'a pas explicitement montré du doigt l'EI mais il a dénoncé « les menaces extérieure et intérieure » posées par « l'extrémisme » sur la « stabilité et la prospérité » de la Tunisie.

M. Kirby a réaffirmé « l'engagement des États-Unis pour la sécurité de la Tunisie et le partenariat » stratégique entre les deux pays. « Nous renouvelons notre offre d'aide au gouvernement tunisien, après l'attaque lâche d'aujourd'hui », a encore dit le porte-parole.

Le ministre des Affaires étrangères John Kerry s'était rendu le 13 novembre dernier à Tunis pour réaffirmer le soutien de Washington à la jeune démocratie tunisienne que les États-Unis ont toujours considérée comme une « balise d'espoir » pour le Printemps arabe.

Tunis est en outre depuis mai 2015 un « allié majeur non membre de l'OTAN », un statut qui permet une coopération militaire renforcée avec Washington.

Les Américains s'inquiètent toutefois depuis des mois du risque de déstabilisation venu de la Libye voisine, base arrière d'attentats djihadistes qui ont ensanglanté la Tunisie en 2015.

Raid américain

Cinq extrémistes venus de Libye, retranchés dans une maison, avaient été tués par des unités de l'armée, de la garde nationale et de la police. Un civil était également mort d'une balle perdue et un commandant blessé.

Au moins quatre des extrémistes étaient de nationalité tunisienne, d'après les autorités, qui avaient dit avoir mis la main sur un arsenal de guerre.

Elles avaient évoqué la possible entrée sur le sol tunisien de «groupes terroristes» après un raid américain le 19 février contre un camp d'entraînement de l'EI à Sabratha, dans l'Ouest libyen, à moins de 100 km de la frontière tunisienne.

Ce bombardement avait fait des dizaines de morts, parmi lesquels aurait figuré Noureddine Chouchane, un Tunisien décrit comme un cadre opérationnel de l'EI impliqué dans deux des attaques perpétrées en 2015 en Tunisie, contre le musée du Bardo à Tunis (22 morts) et près de Sousse (38 morts).

«Des mouvements suspects étaient rapportés depuis le raid de Sabratha et on sentait bien que l'EI chercherait à se venger», a dit à l'AFP Hamza Meddeb, chercheur au centre Carnegie.

«Ce n'était qu'une question de temps et il y avait des indices forts pour que la Tunisie en soit la cible», a-t-il ajouté.

Paris et Berlin ont condamné les attaques, le président français François Hollande assurant que «la Tunisie a, une fois encore, été visée parce qu'elle est un symbole».

La Tunisie, qui compte plusieurs milliers de ressortissants dans les rangs d'organisations djihadistes à l'étranger, exprime régulièrement son inquiétude à propos de la Libye.

Pour tenter de se protéger, elle a construit un «système d'obstacles» sur près de la moitié des 500 km de frontière.

Les postes frontaliers avaient déjà été temporairement fermés à l'automne dernier après l'attentat contre la sécurité présidentielle à Tunis (douze morts), revendiqué par l'EI.