Les États-Unis ont probablement tué dans un bombardement jeudi le bourreau britannique du groupe État islamique (EI) «Jihadi John», que l'on voit dans plusieurs vidéos de décapitations d'otages occidentaux et qui était devenu emblématique de la cruauté de l'organisation djihadiste.

«Nous sommes raisonnablement certains d'avoir tué la cible que nous visions, qui est Jihadi John», de son vrai nom Mohammed Emwazi, même si «cela prendra du temps (...) pour formellement (le) prouver», a déclaré vendredi le colonel Steven Warren, un porte-parole de l'armée américaine, dans une vidéoconférence depuis Bagdad.

Tuer Jihadi John est important parce qu'il était «une «célébrité» de l'EI, «un genre de visage» pour le groupe extrémiste, a indiqué le colonel Warren.

«C'est certainement un coup significatif pour le prestige» de l'EI, mais «il n'était pas un personnage important» dans l'organisation opérationnelle, a-t-il ajouté.

Le djihadiste, un programmeur informatique de Londres né au Koweït en 1988 d'une famille apatride d'origine irakienne, était «un animal humain», a-t-il estimé.

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«Jihadi John» était devenu l'incarnation de la cruauté du groupe EI, s'affichant dans plusieurs vidéos de décapitations de prisonniers occidentaux, toujours vêtu de noir, masqué et couteau à la main.

Un ancien prisonnier l'avait qualifié de «type froid, sadique et impitoyable».

Des responsables militaires cités par des médias britanniques et américains avaient auparavant affirmé que le raid avait très vraisemblablement éliminé le djihadiste. Mais le premier ministre britannique David Cameron, était resté prudent assurant ne pas être «encore certain» de sa mort.

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James Foley

«Exécution extrajudiciaire»

La dernière apparition de «Jihadi John» remonte à une vidéo du 31 janvier montrant l'exécution d'un Japonais.

Emwazi a participé à des vidéos montrant les meurtres des journalistes américains Steven Sotloff et James Foley, du travailleur humanitaire américain Abdel-Rahman Kassig, des humanitaires britanniques David Haines et Alan Henning, du journaliste japonais Kenji Goto et d'un certain nombre d'autres otages, a rappelé le Pentagone.

L'annonce du raid a été saluée par Stuart Henning, neveu d'Alan Henning. «J'éprouve des sentiments mélangés. Parce que je voulais que le lâche qui se cachait derrière le masque souffre comme ont souffert Alan et ses amis. Mais dans le même temps, je me réjouis de sa destruction», a-t-il tweeté.

La soeur de Steven Sotloff, a également estimé que «Jihadi John» aurait «dû être décapité lui aussi et aurait dû souffrir». «Mais au moins il est mort», a-t-elle écrit sur sa page Facebook, bien que «cela ne change pas les choses».

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Steven Sotloff

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Abdel-Rahman «Peter» Kassig

L'organisation de défense des droits des musulmans basée à Londres Cage a réaffirmé sa condamnation des «exécutions extrajudiciaires». «Emwazi aurait dû être jugé comme criminel de guerre», a-t-elle ajouté dans un communiqué.

Sa disparition constitue un revers pour la machine de propagande de l'EI. «Symboliquement, c'est vraiment important», a souligné l'expert londonien Charlie Winter. «Cela enverra un message à l'EI et aux personnes qui voudraient le rejoindre».

«Tactiquement, cela ne va pas vraiment changer quoi que ce soit pour le groupe (EI)», a tempéré Raffaello Pantucci, de l'institut londonien de recherches RUSI.

L'EI contrôle de vastes territoires en Syrie, déchirée depuis 2011 par un conflit qui a fait plus de 250 000 morts, et en Irak. Mais le groupe djihadiste a reculé dernièrement, attaqué dans les deux pays par les armées nationales et pilonné par les aviations russe (en Syrie) et de la coalition internationale menée par les États-Unis (en Syrie et en Irak).

Les forces kurdes irakiennes ont annoncé vendredi avoir repris Sinjar, une ville du nord de l'Irak tenue depuis plus d'un an par l'EI.

«Maigre consolation»

La mort du djihadiste sera «une maigre consolation», ont réagi dans un communiqué les parents du journaliste James Foley, car elle «ne ramènera pas» vivant leur fils, décapité dans une vidéo où apparaît «Jihadi John».

«Sa mort ne ramènera pas Jim. Si seulement autant d'efforts avaient été faits pour retrouver et sauver Jim et les autres otages, qui ont été ensuite exécutés par le groupe EI, ils seraient sans doute vivants aujourd'hui», soulignent Diane et John Foley, qui avaient contesté la stratégie du gouvernement américain sur les otages.

À Londres, David Cameron a qualifié devant la presse la frappe américaine «d'acte d'autodéfense», affirmant que «c'était la bonne chose à faire» et que Britanniques et Américains avaient travaillé ensemble pour «débusquer» le djihadiste.

Le secrétaire d'État américain John Kerry à Tunis avait indiqué que Washington continuait à «évaluer les résultats» de la frappe, mais que «les terroristes associés à DAECH (un acronyme en arabe de l'EI) doivent savoir ceci: vos jours sont comptés et vous serez vaincus».

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Engagé dans l'humanitaire depuis 1999, David Haines, 44 ans, avait été enlevé en Syrie en mars 2013. Il effectuait sa première mission pour ACTED en tant que responsable de la logistique dans le camp de réfugiés d'Atmeh, un village syrien près de la frontière turque.

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Alan Henning a également été la victime du bourreau Emwazi.

Le bombardement a eu lieu jeudi soir à Raqqa, capitale de facto de l'organisation extrémiste sunnite, responsable d'atrocités et forte de dizaines de milliers de combattants dont de nombreux étrangers.

Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), a indiqué que jeudi peu avant minuit «un appareil a visé une voiture circulant dans le centre de Raqa, tuant ses quatre passagers dont un important membre britannique de l'EI». Il n'a pas pu confirmer dans l'immédiat qu'il s'agissait d'Emwazi.

Drone britannique

« Trois drones » ont été utilisés pour la frappe, et « l'un d'entre eux était britannique », a indiqué un responsable. Mais ce sont les drones américains « qui ont tiré » les deux missiles Hellfire utilisés, a-t-il ajouté.

Le drone britannique était utilisé en mission de « surveillance », a-t-il expliqué.

Le Royaume-Uni était « très impliqué » dans la traque de « Jihadi John », a-t-il précisé.

Les trois drones utilisés étaient des drones MQ9-Reaper, fabriqués par le constructeur américain General Atomics.

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Kenji Goto