Le groupe jihadiste État islamique a frappé au coeur d'une localité syrienne symbole de la coexistence islamo-chrétienne, en y enlevant 230 civils musulmans et chrétiens au lendemain de sa prise au régime.

L'EI «a kidnappé à Al-Qaryataïne 170 sunnites et plus de 60 chrétiens accusés de 'collaboration avec le régime' lors de perquisitions menées dans la ville» qu'ils ont conquise dans la nuit de mercredi à jeudi, a déclaré à l'AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

L'évêque Matta al-Khoury, secrétaire du patriarcat syriaque orthodoxe à Damas, a indiqué à l'AFP ne pas pouvoir confirmer ce qui s'est passé «car c'est très difficile de joindre les habitants».

«Mais nous savons qu'à leur entrée dans la ville, ils (les jihadistes) ont interdit aux habitants de sortir de chez eux afin de les utiliser comme boucliers humains» contre des raids du régime, a-t-il ajouté.

Avant le début du conflit en Syrie il y a quatre ans, il y avait 18 000 sunnites et environ 2000 syriaques catholiques et orthodoxes à Al-Qaryataïne. Mais selon l'évêque al-Khoury il ne restait plus que 180 chrétiens après l'assaut de l'EI.

Des centaines de chrétiens de quatre villages proches ont à leur tour quitté la région face à l'avancée de l'EI, a indiqué l'OSDH.

Selon Rami Abdel Rahmane, l'EI possédait une liste de personnes à arrêter mais les jihadistes ont parfois intercepté des familles entières qui tentaient de s'enfuir. Le responsable syriaque orthodoxe a appelé les jihadistes à laisser partir ceux qui le souhaitaient.

Coexistence

Dans cette ville bordée par le désert, les relations entre chrétiens et musulmans ont toujours été excellentes, a affirmé à l'AFP une femme originaire de Al-Qaryataïne, citant en exemple la cérémonie marquant la fin de la rénovation d'une église du sixième siècle, Saint (Mar) Elian, le 9 septembre 2009.

«Ce jour-là, il y avait le nonce apostolique, l'imam, et les deux communautés ont assisté à la messe. Il y avait aussi deux religieux chrétiens apôtres de la coexistence islamo-chrétienne, le père Paolo (Dall'Oglio) et le père Jacques Mourad, qui ont tous deux été enlevés», a-t-elle ajouté.

Jacques Mourad, prêtre syriaque catholique du monastère Mar Elian d'Al-Qaryataïne, a été enlevé en mai par trois hommes masqués, au lendemain de la prise par l'EI de la ville antique de Palmyre, non loin. Paolo Dall'Oglio, un jésuite, a été enlevé en juillet 2013 par l'EI.

Le nom même de la localité est un symbole de coexistence, Al-Qaryataïne signifiant les «deux villages» en arabe.

Lors des invasions arabes du VIIe siècle, les habitants chrétiens ont pris une décision inédite: la moitié de chaque famille s'est convertie à l'islam afin de protéger les autres membres. «C'est pour cela que souvent les gens portent le même patronyme mais sont de religions différentes», explique la femme originaire d'Al-Qaryataïne.

En pleine guerre, il y a deux ans, près de 700 musulmans de Homs ont trouvé refuge dans le monastère adjacent à l'église, ajoute-t-elle.

Localité stratégique

Al-Qaryataïne est un carrefour important qui relie  la périphérie de la province de Homs et l'est de celle Qalamoun, près de la frontière libanaise, deux régions où l'EI est présent.

La conquête de la ville va permettre à l'EI de transférer des troupes et du ravitaillement entre ces deux zones, selon l'OSDH, basé en Grande-Bretagne mais qui s'appuie sur un important réseau de militants en Syrie.

Le conflit en Syrie a fait en quatre ans plus de 240 000 morts, dont 12 000 enfants, selon un dernier bilan de l'OSDH.

Il a été déclenché en mars 2011 par la répression sanglante de manifestations antigouvernementales pacifiques qui ont dégénéré en révolte armée puis en guerre civile brutale au bilan humanitaire dramatique.

Les combats opposent désormais régime, rebelles, Kurdes et jihadistes qui s'affrontent sur un territoire de plus en plus morcelé, et plus de la moitié de la population est déplacée ou réfugiée.

La guerre a pris un caractère particulièrement dramatique avec l'usage d'armes chimiques. Le Conseil de sécurité de l'ONU doit adopter vendredi une résolution prévoyant la formation d'un groupe d'experts chargé d'identifier les responsables de récentes attaques chimiques au chlore.