La Turquie a affirmé lundi que son offensive contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le groupe armé État islamique (EI) pourrait «changer l'équilibre» dans la région, alors qu'Ankara est accusé d'avoir bombardé les Kurdes de Syrie.

«La présence d'une Turquie susceptible d'utiliser efficacement la force peut permettre de changer l'équilibre en Syrie, en Irak et dans toute la région», a déclaré le premier ministre turc Ahmet Davutoglu dans un entretien publié par la presse.

À la pointe du combat contre les djihadistes sur le sol syrien, les milices kurdes syriennes ont accusé lundi les blindés turcs d'avoir ouvert le feu sur deux villages de la province d'Alep (nord de la Syrie) tenus par ses combattants, blessant quatre d'entre eux.

Ces tirs ont été confirmés par l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), une ONG qui dispose d'un large réseau de militants en Syrie.

«Au lieu de s'en prendre aux positions occupées par les terroristes de l'EI, les forces turques attaquent nos positions de défense», ont dénoncé les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes dans une déclaration. «Nous disons à l'armée turque de cesser de tirer sur nos combattants et leurs positions».

Mais un responsable turc a démenti ces allégations. «Le PYD (principal parti kurde de Syrie), comme d'autres, ne fait pas partie des objectifs de nos opérations militaires», a-t-il assuré sous couvert de l'anonymat à l'AFP.

«Il est impossible que ce village ait été bombardé», a insisté auprès de l'AFP un responsable du ministère turc des Affaires étrangères, qui a précisé que le bombardement turc avait répondu à des tirs venus de la Syrie.

«Pas de troupes au sol»

Ce nouveau développement survient alors que la Turquie est passée à l'offensive contre l'EI en menant des raids aériens contre ses positions en Syrie.

Longtemps accusée de complaisance envers les groupes radicaux qui combattent le régime de Damas, le régime islamo-conservateur turc a opéré un virage après l'attentat-suicide meurtrier, attribué aux djihadistes, qui a fait 32 morts parmi des militants de la cause kurde dans la ville de Suruç (sud).

«Nous ne voulons pas voir DAECH (l'acronyme arabe de l'EI) à la frontière turque», a répété M. Davutoglu. «Nous n'enverrons pas de troupes terrestres», a-t-il toutefois ajouté.

Ankara a également ordonné une série de bombardements contre les bases arrières du PKK dans le nord de l'Irak. Dimanche soir encore, les F-16 turcs ont mené une nouvelle série de frappes contre des cibles rebelles.

Dans la foulée de l'attentat de Suruç, le mouvement kurde a revendiqué une série d'attaques meurtrières contre des policiers et des soldats turcs.

Et quelques heures après les premiers raids turcs, il a proclamé la fin de la trêve qu'il respectait depuis 2013 et revendiqué en représailles la mort de deux soldats, tués dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie par une voiture piégée.

«Ces attaques menacent la démocratie», a expliqué M. Davutoglu.

Dans cet entretien réalisé samedi, M. Davutoglu a assuré n'entretenir aucune animosité particulière contre les Kurdes de Syrie.

«Changer l'équilibre de la région»

«Si le PYD coupe ses liens avec le régime (du président syrien Bachar al) Assad, et ne représente pas de menace pour la Turquie (...) il peut rejoindre le mouvement pour une Syrie démocratique», a-t-il dit. «Cependant, s'il essaie de procéder à un nettoyage ethnique de la région (...) les choses seraient différentes», a ajouté M. Davutoglu.

La Turquie a récemment accusé les Kurdes de Syrie de procéder à un «nettoyage ethnique» dans les zones qu'elles contrôlent et s'inquiètent de la création d'une entité autonome kurde qui lui serait hostile à sa frontière sud.

L'OTAN n'a pas été militairement sollicitée

À la demande expresse de la Turquie, l'OTAN doit se réunir mardi à Bruxelles pour examiner la situation militaire dans la région.

«Je ne m'attends pas à ce que (les Turcs) demandent une contribution militaire concrète», a indiqué à la télévision norvégienne NRK le secrétaire général de l'OATN Jens Stoltenberg, qui s'est réjoui que «la Turquie intensifie sa lutte contre l'EI».

Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a indiqué lundi, à la veille d'une réunion des pays de l'Alliance convoquée à la demande d'Ankara, que la Turquie était suffisamment puissante pour se passer d'une aide militaire.

«La Turquie a une armée très puissante et des forces de sécurité très puissantes», a noté M. Stoltenberg lors d'un entretien téléphonique avec la BBC. «Il n'y a donc pas eu de demande en vue d'un appui militaire substantiel de l'OTAN».

M. Stoltenberg a rappelé que l'OTAN avait déjà déployé - depuis début 2013 dans le sud-est de la Turquie - des missiles Patriot pour contribuer à la défense antiaérienne du pays.

Le dirigeant de l'OTAN a souligné que «l'autodéfense devait être proportionnée», s'agissant des bombardements turcs contre les positions du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l'Irak.

«Depuis des années, il y a des progrès dans le travail visant à une solution politique pacifique» entre la Turquie et la rébellion kurde, a-t-il expliqué dimanche soir à la télévision norvégienne NRK. «Il est important de ne pas renoncer à ce travail».

Ankara a également donné son feu vert à l'utilisation de la base d'Incirlik (sud) aux avions américains qui bombardent l'EI en Syrie et en Irak. 

La Turquie va participer «activement» aux attaques aériennes contre l'État islamique, après avoir autorisé les États-Unis à utiliser la base d'Incirlik, a déclaré lundi à Lisbonne le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu.

«Nous avons passé un accord avec les États-Unis et nous allons ouvrir nos bases (militaires). La Turquie va se joindre activement aux attaques aériennes et au combat contre» le groupe djihadiste État islamique, a déclaré M. Cavusoglu dans une interview à l'agence de presse portugaise Lusa.

«Nous sommes en train d'essayer de convaincre les membres de la coalition internationale de la nécessité d'une stratégie déterminée et globale pour combattre et éradiquer DAECH», a-t-il ajouté.

La décision turque d'intervenir contre l'EI et le PKK a nourri de nombreuses manifestations contre le président Recep Tayyip Erdogan. Les Kurdes de Turquie l'accusent de complicité avec les djihadistes, ce qu'il a toujours démenti.

Dans le cadre de cette «guerre contre le terrorisme», la police a procédé à un coup de filet sans précédent contre des militants présumés du PKK, du groupe EI et de l'extrême gauche. Selon un responsable turc, 900 personnes ont été arrêtées depuis vendredi.

Débarrasser le nord de la Syrie de l'Etat islamique

Les États-Unis et la Turquie ont décidé de travailler conjointement à débarrasser le nord de la Syrie, le long de la frontière turque, de l'EI, a annoncé lundi à Addis Abeba un responsable américain.

«Le but est d'établir une zone débarrassée de l'EI et d'améliorer la sécurité et la stabilité le long de la frontière entre la Turquie et la Syrie», a déclaré à l'AFP ce responsable ayant requis l'anonymat, en marge d'une visite en Éthiopie du président Barack Obama.

Les détails concernant cette zone «restent à définir», a expliqué ce responsable américain.

Il a néanmoins souligné que «l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne», réclamée de longue date par la Turquie, ne ferait «pas partie des efforts militaires conjoints, quels qu'ils soient», mais impliquerait un soutien turc aux «partenaires au sol» des États-Unis, qui combattent l'EI.

De nombreux observateurs se demandent si la Turquie, qui a parallèlement bombardé des bases arrières de la rébellion kurde du PKK, n'a pas surtout pour objectif de limiter les capacités des forces kurdes en Syrie et en Irak, plutôt que de s'attaquer à l'EI.