Né en Irak dans les années 2000, le groupe État islamique a gagné la Syrie et cherche aujourd'hui à prendre pied, notamment, en Égypte et en Libye. Comment s'explique la fulgurante montée en puissance de ces djihadistes? Quels sont les facteurs qui limitent son expansion tous azimuts? Explications... en sept pays.

IRAK

L'EI y sévit depuis: 2006

Territoire: frontière entre l'Irak et la Syrie. Plusieurs villes importantes, dont Mossoul, Tikrit et Fallujah.

En juin dernier, le groupe armé État islamique, qui combat le gouvernement chiite irakien, a lancé un assaut dans le nord de l'Irak. Dépassée, mal préparée, l'armée irakienne abandonne alors la partie. «L'EI a pris du territoire en Irak avec une rapidité foudroyante, explique Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et membre de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. Ils ont pris bien des gens par surprise.» Depuis l'été dernier, l'armée américaine entraîne des soldats irakiens et mène des bombardements sur les positions de l'EI en Irak. Or, faire des avancées sur le terrain sera long et compliqué: pour reprendre la ville de Mossoul, par exemple, il faudrait 30 000 combattants et jusqu'à 10 mois de lutte, a récemment estimé un analyste militaire kurde.

SYRIE

L'EI y sévit depuis: 2013

Territoire: la majeure partie de l'est de la Syrie, dont les villes de Raqqa et de Deir ez-Zour

Depuis le printemps 2013, le groupe État islamique a fait des gains importants en Syrie, où le groupe est mieux organisé et mieux entraîné que l'Armée syrienne libre, qui combat les troupes du président Bachar al-Assad. L'EI contrôle aujourd'hui la moitié est du pays, mais son élan a été freiné par les frappes aériennes américaines. Dans les territoires conquis, la population est soumise à une interprétation fanatique de l'islam. Les femmes doivent porter deux burqas et des gants. Des fillettes peuvent être mariées dès l'âge de 9 ans, selon des témoignages vidéo recueillis récemment par The Guardian. Le mois dernier, les combattants kurdes et les bombardements orchestrés par l'armée américaine ont réussi à libérer la ville syrienne de Kobané de l'emprise de l'EI. «Le groupe gagne du territoire, mais il en perd aussi, explique Houchang Hassan-Yari. C'est révélateur: avec une force au sol qui est déterminée, il est possible de faire reculer le groupe État islamique.»

AFGHANISTAN

L'EI y sévit depuis: 2015

Aucun territoire

Les djihadistes d'État islamique sont-ils en Afghanistan? Le gouvernement afghan le croit. «L'État islamique, ou des gens qui se réclament de l'organisation, est actif dans certaines régions et nos services de renseignement ont confirmé leur présence», a déclaré un porte-parole du gouvernement, le 10 février. La veille, une attaque menée par l'armée afghane avait tué le mollah Abdul Rouf, ancien commandant taliban détenu à Guantánamo, qui affirmait publiquement faire du recrutement pour le groupe État islamique en Afghanistan. Jusqu'ici, le groupe est resté plutôt discret, mais il pourrait devenir une force montante dans ce pays instable.

YÉMEN

L'EI y sévit depuis: 2015

Aucun territoire

C'est au Yémen qu'est basé le groupe Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, la cellule d'Al-Qaïda la mieux organisée. Or, des combattants ont apparemment décidé depuis peu de quitter l'organisation pour prêter allégeance au groupe État islamique, selon l'organisation SITE, qui suit le pays. Le Yémen est secoué par un coup d'État mené par des milices chiites, laissant planer la menace d'une guerre civile. Houchang Hassan-Yari doute de la solidité des appuis dont y jouirait l'EI. «Les militants nouvellement convertis à l'EI n'ont pas réussi à gagner du terrain; or, qui dit peu de terrain dit peu de moyens.»

LIBYE

L'EI y sévit depuis: octobre 2014

Territoire: ville de Derna, région de Sabha, Syrte et Nofolia

«L'EI est un parasite qui s'installe dans les zones ou le gouvernement s'est effondré», explique en entrevue Vijay Prashad, auteur et professeur d'études internationales de Trinity College, à Hartford. Et il est difficile de trouver un pays dans un plus grand état d'effondrement que la Libye.» Vendredi, un triple attentat suicide revendiqué par l'État islamique a fait au moins 31 morts et 40 blessés dans la ville Koubbah, près de Derna, dans l'est de la Libye. Depuis l'écroulement du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011, des centaines de combattants islamiques libyens sont allés se battre en Irak et en Syrie. Ils tournent aujourd'hui leur regard sur les cibles libyennes. Ils ont par exemple cette semaine pris le contrôle de l'université de Syrte, ville où est né Kadhafi. «Des ex-kadhafistes pourraient être tentés de rejoindre les rangs de l'EI, dit M. Prashad. Si c'était le cas, le chaos libyen ne ferait que commencer.»

ÉGYPTE

L'EI y sévit depuis: 2014

Territoire: Certains endroits de la péninsule du Sinaï

L'Égypte, le pays musulman le plus populeux du Moyen-Orient, est dans la ligne de mire du groupe État islamique, explique Vijay Prashad. L'assassinat de 21 Égyptiens chrétiens coptes en Libye, dévoilé dans une vidéo, lundi, est un premier pas en ce sens, dit-il. «Ils s'en sont pris aux Coptes non seulement parce que leurs ennemis de choix, les musulmans chiites, ne se trouvent pas en Libye, mais aussi parce qu'ils cherchent à créer des divisions profondes en Égypte. Cela leur permettrait d'avoir une chance d'y prendre racine.» De 1000 à 2000 combattants égyptiens auraient prêté allégeance à l'EI jusqu'ici.

ALGÉRIE

L'EI y sévit depuis: 2014

Aucun territoire

En septembre 2014, un petit groupe djihadiste nommé Jund al Khilafa a enlevé le randonneur français Hervé Gourdel, pour ensuite le décapiter. Même si le groupe a dit agir pour punir la France d'appuyer la guerre contre le groupe État islamique, les experts s'entendent pour dire que les djihadistes n'ont que des moyens limités en Algérie, pays soutenu par l'Occident, gouverné dans la répression depuis plus de 15 ans par l'actuel président Abdelaziz Bouteflika. «L'Algérie est un État plutôt stable, dit Vijay Prashad. Ce n'est pas le terreau que recherche l'EI.»

Attaquer Rome?

Le groupe État islamique a-t-il les moyens d'attaquer Rome? Dans une vidéo de propagande diffusée il y a deux semaines, le groupe a menacé d'attaquer l'Italie.

«Nous sommes au sud de Rome», disait la vidéo, en référence à la prise de territoire récente du groupe en Libye, ce pays en proie au chaos situé à moins de 500 kilomètres des côtes de la Sicile.

En réaction, le premier ministre italien Matteo Renzi a fermé son ambassade à Tripoli et s'est dit prêt à déployer 500 membres d'une unité spéciale antiterroriste pour protéger les sites touristiques à Rome.

Dans un document de propagande de l'EI qu'a obtenu le Telegraph, cette semaine, le groupe affirme vouloir consolider ses appuis en Libye, qui serait une «porte d'entrée» pour l'Europe. Le groupe y projette aussi d'attaquer le transport maritime sur la Méditerranée.

«Étrange» menace

Dans une récente analyse, Stephen Van Evera, expert en terrorisme et professeur au Massachusetts Institute of Technology, qualifiait d'«étrange» la menace lancée par l'EI à l'endroit de l'Italie.

«L'Italie ne présente pas les bons paramètres pour permettre à l'EI d'opérer, a-t-il noté. Le pays n'a pas une importante population musulmane, or le groupe a besoin d'alliés pour pouvoir se fondre dans la foule. Ils auront du mal à former des cellules en Italie.»

Vijay Prashad, auteur et professeur d'études internationales de Trinity College, à Hartford, estime qu'une expansion de l'EI dans les pays stables défendus par des armées modernes est peu probable. «Les combattants de l'EI ont de l'ambition, mais ils ne sont pas stupides.»

Les États-Unis armeront des Syriens

Après des mois d'hésitation, Washington a officiellement décidé d'entraîner et d'armer des rebelles syriens opposés au groupe État islamique. L'annonce a été faite jeudi dernier par l'ambassade américaine à Ankara. La Turquie participera aussi à l'exercice.

Pour Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et membre de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, la défaite du groupe État islamique dans la ville de Kobané, en janvier, a montré que l'organisation terroriste n'est pas infaillible. «À Kobané et aussi dans certaines villes d'Irak, le groupe État islamique a fait face à une véritable résistance, et il a perdu, dit-il en entrevue. Il est possible de vaincre ce groupe terroriste, et la volonté d'entraîner et d'armer des rebelles syriens semble en faire foi.»

Les entraînements militaires commenceraient le mois prochain à la base de Kirsehir, dans le centre de la Turquie, ont dit cette semaine des officiels turcs. Le gouvernement a expliqué que les Syriens pourraient aussi frapper le gouvernement de Bachar al-Assad, ce à quoi s'opposait précédemment Washington.

Selon le Pentagone, quelque 5000 combattants syriens seront entraînés annuellement. En 2015, ils seront 3000 à recevoir la formation. Les combattants seront «passés au peigne fin» avant de recevoir l'entraînement militaire, a dit un porte-parole du Pentagone, John Kirby. Quant aux armes fournies par Washington, il s'agira de camionnettes munies de fusils mitrailleurs, d'équipement de télécommunication et de système GPS, a dit savoir l'agence Reuters.

- Avec l'Agence France-Presse