Une délégation de combattants kurdes irakiens s'est rendue jeudi à Kobané pour discuter de l'entrée dans cette ville kurde syrienne, assiégée par les djihadistes, des dizaines de peshmergas qui patientent du côté turc de la frontière.

Lourdement armés, ces peshmergas sont rassemblés à Suruç, à une dizaine de km de la frontière syrienne et sous l'étroite surveillance des forces turques, selon un photographe de l'AFP.

La presse turque estime qu'ils seraient environ 150 venus aider la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), qui défend la ville depuis six semaines face aux djihadistes du groupe État islamique (EI).

Une partie de ces combattants sont arrivés par la route jeudi avant l'aube à Suruç, où ils ont rejoint une première vague arrivée mercredi par avion.

Dix d'entre eux ont passé quelques heures à Kobané pour discuter avec les YPG des modalités de l'entrée des hommes et des armes dans la ville, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) et l'agence prokurde Firat.

Les djihadistes, qui tentent de s'emparer des quartiers nord de la ville afin de l'isoler en bloquant l'axe qui la relie à la Turquie, ont violemment bombardé ce secteur jeudi.

Le président de la région autonome du Kurdistan irakien Massoud Barzani a expliqué jeudi que les Kurdes de Kobané lui ont dit «ne pas avoir besoin de troupes de combat», mais plutôt «de forces de soutien».

Mais, «quand les conditions sur le terrain le requièrent et quand ils (les YPG) réclament plus de renfort, il y aura moyen de leur envoyer plus de peshmergas», a-t-il toutefois ajouté.

«Violation flagrante»

Des combattants de l'Armée syrienne libre (ASL), émanation de l'opposition modérée au régime du président syrien Bachar al-Assad, sont eux déjà entrés dans Kobané, mais les sources divergent sur leur nombre. Depuis Istanbul, le chef d'une unité de l'ASL a parlé de «près de 400» hommes. D'autres sources font état de 50 à 150 rebelles syriens la ville, devenue le symbole de la résistance à l'EI.

Autorisé par la Turquie sous la pression des États-Unis, le passage de ces renforts suscite la colère de Damas, qui a dénoncé «une violation flagrante de la souveraineté syrienne», après avoir longtemps accusé Ankara de soutenir les rebelles et les djihadistes qui veulent le renverser.

Le conflit syrien, commencé en mars 2011 par des manifestations pacifistes violemment réprimées par le régime, est devenu de plus en plus complexe avec les années.

L'apparition de l'EI en 2013 a encore compliqué la situation, les djihadistes combattant tout à la fois le régime et les rebelles «modérés».

Illustration de ces intrications, le secrétaire d'État américain à la Défense a reconnu que la campagne internationale de frappes aériennes anti-djihadistes en Syrie, notamment sur Kobané, pourrait profiter au régime d'Assad.

Pour autant, les États-Unis continueront à appeler au départ de M. Assad de la présidence de son pays, a assuré Chuck Hagel, dont les remarques peuvent être lues comme une critique voilée de la stratégie syrienne du président Barack Obama.

Des Américains à Anbar

Dans la province d'Homs (centre), l'EI s'est emparé d'un champ gazier après trois jours de violents combats avec les forces du régime selon l'OSDH.

L'EI est, selon Washington, «l'organisation terroriste la mieux financée» au monde, notamment grâce aux puits de pétrole et de gaz dont il s'est emparé.

Par ailleurs, l'émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie Staffan De Mistura a proposé d'instaurer des zones de cessez-le-feu pour permettre la distribution de l'aide humanitaire dans ce pays déchiré par plus de trois années de guerre civile.

En Irak voisin, des centaines de soldats et de combattants pro-gouvernementaux se préparaient pour lancer un assaut contre la ville stratégique de Baïji, tenue par l'EI, selon des officiers.

L'objectif est de sécuriser la principale raffinerie du pays, mais cette offensive s'annonce difficile pour les forces irakiennes, qui ont déjà subi plusieurs revers dans leurs tentatives de regagner du terrain face aux djihadistes, notamment dans la province d'Anbar (ouest), contrôlée quasiment entièrement par l'EI.

Le Pentagone a d'ailleurs estimé jeudi que des conseillers militaires américains étaient «nécessaires» dans cette province.

Plusieurs centaines de conseillers militaires américains ont été envoyés en Irak, mais aucun à Anbar, où les djihadistes ont récemment exécuté 46 membres d'une tribu sunnite qui avaient pris les armes contre eux.

La Norvège a de son côté annoncé jeudi l'envoi d'environ 120 soldats pour contribuer à la formation de l'armée irakienne.

Accusé de nettoyage ethnique et de crimes contre l'Humanité par l'ONU, l'EI a mis à profit la guerre civile en Syrie et l'instabilité politique et sécuritaire en Irak pour s'emparer de larges territoires, où il fait régner la terreur.

Damas fustige Ankara

Le régime de Damas a vivement critiqué jeudi Ankara pour avoir permis aux pershmergas irakiens et à des rebelles syriens de se rendre à Kobané à travers la Turquie pour défendre cette troisième ville kurde de Syrie contre le groupe État islamique.

«Une fois de plus, la Turquie prouve son rôle de comploteur (...) en permettant à des forces étrangères et à des éléments terroristes d'entrer en Syrie, ce qui constitue une violation flagrante de la souveraineté syrienne», dénonce le ministère syrien des Affaires étrangères dans un communiqué.

«La Syrie dénonce et rejette ce comportement ignoble du gouvernement turc et ses complices qui sont responsables dès le départ de la crise syrienne», poursuit le communiqué, en allusion aux États-Unis qui ont fait pression sur Ankara pour faire entrer les peshmergas et les rebelles.

Depuis le début en mars 2011 de la révolte en Syrie, Damas accuse son ancien allié turc de soutenir les rebelles et les djihadistes qui veulent renverser le régime syrien.

Outre les peshmergas venus d'Irak, selon différentes sources, de 50 à 150 hommes de l'Armée syrienne libre (ASL), émanation de l'opposition modérée au régime du président syrien Bachar al-Assad, ont par ailleurs franchi la frontière turque mercredi pour rejoindre le front de Kobané.

Les raids américains contre l'EI pourraient profiter à Assad

Le régime syrien de Bachar al-Assad, dont les troupes luttent contre une multitude de groupes rebelles, pourrait profiter des raids aériens américains contre des cibles du groupe État islamique, a reconnu le secrétaire américain à la Défense jeudi.

Les États-Unis et la coalition internationale bombardent quotidiennement les extrémistes sunnites en Syrie et en Irak pour «soutenir le gouvernement irakien et sécuriser l'ensemble du Moyen-Orient», a déclaré Chuck Hagel lors d'une conférence de presse à Washington.

Or, l'EI est autant l'ennemi de Washington que celui du régime syrien de Bachar al-Assad. Du coup, a admis M. Hagel, «effectivement, Assad peut tirer profit» de la campagne aérienne contre les jihadistes, «bien évidemment».

Pour autant, les États-Unis continueront à appeler au départ de M. Assad de la présidence de son pays, a-t-il assuré.

Ces déclarations pourraient conforter les ennemis de la stratégie syrienne du président Barack Obama, mais elles mettent aussi en relief le scepticisme dont Chuck Hagel fait manifestement lui-même part en privé.

Dans une note adressée à Susan Rice, la conseillère à la sécurité nationale de M. Obama, le ministre de la Défense a prévenu que la stratégie américaine en Syrie «risque de s'étioler» précisément à cause de la confusion autour de la position américaine vis-à-vis de Bachar al-Assad, selon le New York Times.

L'émissaire de l'ONU veut des zones de cessez-le-feu pour l'aide humanitaire

L'émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie Staffan De Mistura a proposé jeudi d'instaurer des zones de cessez-le-feu pour permettre la distribution de l'aide humanitaire dans ce pays déchiré par plus de trois années de guerre civile.

Après une réunion avec le Conseil de sécurité, M. de Mistura a expliqué aux journalistes qu'il n'avait pas de plan de paix mais plutôt un «plan d'action» pour tenter de résoudre un conflit qui a entraîné le déplacement de quelque 6,5 millions de personnes.

L'émissaire a estimé que la ville d'Alep dans le nord de la Syrie pourrait être «une bonne candidate» pour ce type de zone.

«Cela devrait être une zone dans laquelle les combats seraient suspendus pour permettre une amélioration de l'aide humanitaire et pour que les gens sachent, qu'au moins dans ces endroits, il n'y aura pas de combats», a-t-il ajouté sans donner davantage de détails.

Alep, la capitale économique de la Syrie avant le début de la guerre en 2011, est divisée depuis l'été 2012 entre des secteurs contrôlés par le régime de Bachar al-Assad et les rebelles.

M. de Mistura qui a succédé cet été à Lakhdar Brahimi, sortait d'une réunion avec les 15 membres du Conseil de sécurité après avoir rendu visite à la Russie et à l'Iran, deux pays qui ont une grande influence sur le régime de Bachar al-Assad.

L'ambassadeur syrien Bachar Jaafari a affirmé que son gouvernement était prêt à «considérer» la proposition de l'émissaire spécial mais attend plus de détails d'une réunion vendredi.

Quant aux craintes que le régime d'Assad puisse abuser d'une pause pour reprendre l'avantage sur les rebelles ? «Nous devons bien commencer quelque part», a dit M. De Mistura qui a reconnu que si cette initiative représentait une «goutte dans l'océan» dans le processus de paix. «De nombreuses gouttes peuvent former un lac et un lac peut former une mer».