Le lieutenant-général Roméo Dallaire sonne l'alarme: des enfants-soldats seraient au coeur du conflit sanglant qui déchire l'Irak. Ils seraient conscrits notamment par le mouvement djihadiste de l'État islamique, déplore le militaire à la retraite, qui a fait de la prévention des génocides et de l'utilisation des enfants-soldats la mission de sa vie, après avoir vécu l'horreur du Rwanda en 1994.

Les garçons peuvent manier une arme ou se faire exploser dans un lieu public. Les filles peuvent transporter de l'eau, cuisiner. Ou assouvir les pulsions sexuelles des hommes. Tous peuvent aussi servir d'éclaireurs, en traversant un champ de mines avant les adultes, par exemple. Les pays changent, mais les «tâches» restent les mêmes.

Le lieutenant-général Roméo Dallaire a dénoncé cette semaine dans le Washington Post l'utilisation d'enfants-soldats, cette fois en Irak par l'État islamique (EI), et l'inaction de la communauté internationale.

«On voit que les forces en conflit recrutent massivement des jeunes, notamment pour leur faire commettre des attentats suicide», raconte-t-il dans une entrevue téléphonique à La Presse, sur la foi d'informations provenant de médias et d'ONG. Human Rights Watch a d'ailleurs rapporté en juin que l'EI avait recruté des enfants-soldats en Syrie voisine.

Ce phénomène l'inquiète d'autant plus que «si un groupe non étatique décide d'utiliser des enfants dans un conflit, c'est un signe avant-coureur qu'il y aura des exactions contre la population et que ça pourrait même conduire à un génocide. Ça démontre que ce groupe est prêt à aller à l'encontre de toutes les conventions».

Une «énorme faiblesse»

L'utilisation d'enfants-soldats est «un signe d'énorme faiblesse» de l'État islamique, estime Roméo Dallaire. «Ils sont obligés d'utiliser des enfants parce qu'ils ne sont pas capables de recruter des adultes.» Selon lui, la communauté internationale doit «éliminer» ce mouvement djihadiste. «Les têtes dirigeantes doivent être la cible principale, car ils vont continuer de recruter.»

Mais comment agir devant ces combattants tout aussi imprévisibles que juvéniles? «Moi, quand je fais face à un enfant-soldat qui a le doigt sur la gâchette, j'ai beaucoup plus peur de lui que d'un soldat adulte. Avec un adulte, tu peux discuter, présumer de ce qu'il va faire.»

C'est pourquoi il a fondé la Child Soldiers Initiative, une organisation basée à l'Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, qui entraîne les militaires à faire face aux enfants-soldats. «On a développé des méthodes pour pouvoir sortir les enfants [de leur situation] sans avoir recours à la force maximale», explique-t-il.

Démobiliser les enfants est une chose, mais leur faire reprendre une vie normale en est une autre. «Il est très difficile de faire une réhabilitation complète. Il y a toujours un risque de récidive, se désole Roméo Dallaire. Ils ont tout vu. L'utilisation extrême de la force n'a plus de secrets pour eux.» La tentation d'y recourir peut donc être grande si leur pays demeure instable et qu'ils ne voient pas de solution à leurs problèmes.

Le retour des enfants-soldats à la vie normale suscite aussi beaucoup d'inquiétude dans leur propre milieu. «Il faut préparer la communauté autant que le jeune», dit Roméo Dallaire. La situation est encore plus délicate pour les filles, qui ont généralement «été violées, qui reviennent avec un enfant et qui sont abandonnées par leurs familles».

Ottawa doit être fidèle à ses principes et hausser le ton pour dénoncer l'utilisation d'enfants dans les conflits armés, selon Roméo Dallaire, qui ne cache pas une certaine amertume. «Le Canada a été l'un des premiers pays à militer pour l'interdiction des enfants-soldats, suivi de près par les États-Unis, mais après ça, on a le cas d'Omar Khadr. On a un enfant-soldat, on renie ses droits et on le laisse en prison. On est le seul pays au monde qui a fait ça!»