Nouveau coup de théâtre en Irak. Au moment où les Américains mènent des frappes dans le pays, le très contesté premier ministre Nouri al-Maliki a été remplacé hier par un membre de son propre parti. Il a suggéré qu'il pourrait s'accrocher au pouvoir, plaçant Bagdad sur les dents. Un pas en avant ou une nouvelle source de turbulence dans un pays en plein chaos?La Pressefait le point.

Que s'est-il passé exactement hier?

Le président de l'Irak, Fouad Massoum, a nommé Haïdar al-Abadi premier ministre, évinçant du même coup celui qui dirigeait l'Irak depuis 2006, Nouri al-Maliki. La coalition d'al-Maliki avait remporté les élections en avril dernier, mais sans obtenir de majorité. Depuis, al-Maliki peine à former un gouvernement d'unité nationale qui fait une place aux minorités. La communauté internationale, Washington en tête, a salué la nomination d'al-Abadi, qualifiée hier par Barack Obama de «pas en avant».

Comment expliquer le départ d'al-Maliki?

L'ex-premier ministre, un chiite, s'est fait beaucoup d'ennemis en gouvernant sans tenir compte des minorités sunnites et kurdes. «Les États-Unis avaient fait savoir de façon extrêmement claire qu'ils souhaitaient son départ», rappelle Houchang Hassan-Yari, expert du Moyen-Orient au Collège militaire royal du Canada. Même l'ayatollah Ali Al-Sistani, le plus haut dignitaire chiite d'Irak, avait demandé son remplacement.

Comment réagira Nouri al-Maliki maintenant qu'il est écarté?

C'est la grande question. Nouri al-Maliki a parlé hier d'une «violation de la Constitution», suggérant qu'il pourrait s'accrocher au pouvoir. Même si l'homme a perdu beaucoup d'appuis politiques, il peut compter sur la loyauté de plusieurs généraux de l'armée. Bagdad est actuellement quadrillé par les forces de l'ordre, avec de grandes artères bloquées et des ponts fermés. «Nous espérons que Maliki ne causera pas de problèmes», a dit le secrétaire d'État américain, John Kerry. Houchang Hassan-Yari surveille quant à lui la réaction de l'Iran, qui a toujours soutenu al-Maliki. «Si l'Iran s'oppose au départ d'al-Maliki, ça pourrait créer des problèmes. Si, pour toutes sortes de considérations, l'Iran décide de le lâcher, je pense qu'il n'aura pas d'autre choix que de partir devant la pression qu'il subit tant à l'intérieur de l'Irak qu'à l'extérieur.»

Depuis jeudi dernier, les Américains mènent des frappes en Irak contre l'État islamique, un groupe terroriste qui s'est emparé de larges pans de la Syrie et de l'Irak, et qui persécute les minorités comme les Kurdes, les chrétiens et les yazidis. Y a-t-il un lien entre cette intervention militaire et le départ d'al-Maliki?

«Tout est lié d'une certaine façon», répond Houchang Hassan-Yari. D'abord, selon l'expert, les percées fulgurantes du groupe islamique sont largement attribuables à l'exacerbation des tensions par al-Maliki et à son incapacité à assurer la sécurité du pays. Il y a aussi le fait que Washington n'était probablement pas à l'aise avec l'idée de prêter main-forte à un gouvernement aussi contesté que celui d'al-Maliki. «Un changement à la tête du gouvernement irakien est une bonne nouvelle pour Obama. Ça va faciliter ses actions et ça peut convaincre les membres du Congrès qui pourraient s'opposer à une plus grande intervention en Irak», dit Houchang Hassan-Yari.

Qui est ce Haïdar al-Abadi qui devient subitement premier ministre d'Irak, héritant de l'épineuse mission d'éviter l'éclatement de son pays?

Né à Bagdad en 1952, formé en Angleterre, cet ingénieur électrique de formation était un proche d'al-Maliki et avait été nommé vice-président du Parlement en juillet. «Il est peu connu hors des milieux politiques d'Irak, commente Houchang Hassan-Yari. Il faudra voir si c'est un autre al-Maliki ou s'il peut véritablement devenir le premier ministre de tous les Irakiens.» Haïdar al-Abadi a maintenant 30 jours pour réussir là où son prédécesseur a échoué: former un gouvernement d'unité nationale en Irak.

Faut-il s'attendre à davantage de frappes américaines en Irak?

Hier, les bombardements américains avaient permis aux forces kurdes, les peshmergas, de reprendre les villes de Gwer et Makhmour des mains de l'État islamique. Washington a annoncé qu'il livrera des armes aux peshmergas dès la semaine prochaine. La situation humanitaire des minorités chrétienne et yazidi est décrite comme «catastrophique». Selon Houchang Hassan-Yari, il serait étonnant que les Américains quittent l'Irak avant d'avoir complètement neutralisé l'État islamique. «Pour l'instant, le groupe cause des problèmes en Syrie et en Irak. Mais la menace deviendra rapidement internationale lorsque les combattants retourneront en Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis et au Canada», dit-il. Les ambassadeurs des pays européens tiendront une réunion extraordinaire sur la question aujourd'hui à Bruxelles.