Pendant huit ans, ils ont ramé à contre-courant dans un pays qu'ils ne reconnaissaient plus. La victoire d'Obama leur redonne le goût d'espérer. Aujourd'hui, la «génération Obama» veut passer à l'action. Et changer le visage des États-Unis.

Depuis une semaine, Sabra Williams et son fils se réveillent avec un chiffre en tête.

Chaque matin, ils le prononcent à voix haute, à la table du petit-déjeuner.

«Huit!»

 

«Sept!»

«Six!»

«Cinq!»

Le nombre de jours avant que Bush ne quitte la Maison-Blanche.

«C'est un moment que nous attendions depuis longtemps, dit Mme Williams, qui habite Los Angeles. Bush a fait beaucoup de tort au pays. En un sens, c'est lui qui a mis la table pour qu'Obama soit élu.»

L'arrivée au pouvoir de Bush, en 2001, a marqué l'ère de la génération des gens de droite, des militants religieux et des néo-conservateurs. Les médias débordaient de portraits sur cette génération conservatrice qui venait de prendre du galon, et qui aurait l'oreille du président pour les années à venir.

L'ascension des démocrates marque aujourd'hui l'arrivée d'une nouvelle ère: celle de la «génération Obama». Un mouvement d'adultes et de jeunes aux idées progressistes, qui oeuvraient en marge depuis des années. Ils ont vu leur pays prendre un virage vers la droite. Ils ont vu leur président déclarer deux guerres, biffer la démarcation entre la religion et l'État et ignorer les problèmes environnementaux. Tout cela, espèrent-ils, c'est du passé. La semaine prochaine, c'est leur candidat qui prendra la destinée des États-Unis en main.

Le terme «génération Obama» été utilisé pour l'une des premières fois, en 2007, par Bill Bradley, ex-champion de basketball qui a été sénateur du New Jersey. Devant un groupe d'étudiants, il a dit qu'Obama, alors en compétition avec Hillary Clinton pour l'investiture du Parti démocrate, était un candidat unique.

«Tout comme les gens de mon âge disaient faire partie de la «génération Kennedy», vous allez faire partie de la «génération Obama» «, a-t-il dit.

Les progressistes qui forment cette génération Obama ne s'attendent pas à ce que tous les problèmes se règlent aux moyens de lois ou de règles morales. Ils croient que politique et religion ne font pas bon ménage, et que les politiques fonctionnent mieux lorsqu'elles sont appliquées localement.

Et si les représentants de la génération Obama ont un point en commun, c'est bien celui-ci: ils n'ont pas attendu que les politiciens prennent des initiatives pour se manifester.

Renouer avec l'altruisme

C'est le cas de Sabra Williams. En plus de son travail et de sa famille, Mme Williams donne son temps à une cause qui lui est chère: enseigner les rudiments du théâtre aux détenus les plus dangereux de Californie.

Chaque semaine, depuis trois ans, elle se rend dans des pénitenciers de la région de Los Angeles pour donner des ateliers de théâtre, un programme unique qui suscite beaucoup d'enthousiasme.

«À la fin du programme, les prisonniers disent qu'ils ont un plus grand sentiment d'appartenance à leur troupe de théâtre qu'à leur gang de rue, explique Mme Williams. Ça peut sembler anodin, mais c'est un énorme pas en avant.»

Mme Williams a mis ce programme sur pied elle-même. Il s'agit d'un travail bénévole. Personne n'a d'argent pour la payer. «C'est ma petite façon d'aider à améliorer le sort de la société.» Elle souhaite pouvoir récolter assez de dons privés cette année pour pouvoir financer son programme, et un jour embaucher des employés.

Selon elle, l'arrivée d'Obama au pouvoir pourrait changer le pays de façon semblable. «L'entraide est encouragée par Obama. On est à des années-lumière de Bush. Il était temps que l'Amérique renoue avec l'altruisme. On ne peut pas vivre comme si le sort des autres n'est pas important.»

Garder le contact

Jay Simmons se souvient de la première fois qu'il a entendu Barack Obama. C'était à CNN, durant la convention démocrate de 2004. Il était en train de laver la vaisselle, et la voix d'Obama s'est mise à résonner dans son petit appartement de Los Angeles.

«Je suis allé au salon, et j'ai écouté le discours. À la fin, j'ai su que je venais de voir la prochaine star du Parti démocrate. Je me suis dit: «Ce type-là va être président un jour. Je vais l'appuyer.»»

Graphiste âgé de 27 ans qui se décrit comme «apolitique et peu intéressé au militantisme», M. Simmons a tenu parole. Durant la campagne d'Obama, il a passé ses fins de semaine à faire des appels en Virginie et au Nevada, deux États-clés visés par la campagne Obama. Il est aussi allé passer quatre jours au Nevada avant le vote, pour cogner aux portes des électeurs indécis. Aujourd'hui, il fait du bénévolat pour Obama, dont la campagne continue d'organiser des événements communautaires dans tout le pays. «J'ai découvert que mon implication pouvait aider la cause», dit-il.

Durant la campagne présidentielle, des millions de partisans recevaient des courriels et des textos de l'équipe Obama. Le candidat invitait les gens à donner du temps pour faire des appels aux électeurs, ou encore à contribuer financièrement à sa campagne.

La victoire d'Obama aurait pu marquer la fin de ce type de communications. Or, l'équipe d'Obama continue de rester en contact avec ses partisans. Le prochain défi: créer un vaste mouvement de bénévolat aux États-Unis.

Michelle Obama lance le bal

L'une des promesses d'Obama la moins reprise par les médias va en ce sens. Durant la campagne, le candidat a affirmé qu'il encourageait le travail communautaire et le bénévolat. Obama veut faire passer les adhérents au programme de service civil AmeriCorps de 75 000 actuellement à 250 000 d'ici la fin de son mandat. Il veut aussi inciter les élèves du collégial à donner 100 heures de leur temps par année pour la communauté, en échange d'une réduction des droits de scolarité.

«Cela sera la pièce maîtresse de ma présidence», a dit Obama l'an dernier.

Cette semaine, Michelle Obama a d'ailleurs invité tous les citoyens à donner de leur temps, lundi, le 19 janvier, la veille de la prestation de serment. Ce jour marque l'anniversaire de naissance de Martin Luther King Jr., et est un congé férié aux États-Unis. Des milliers d'événements sont planifiés dans tout le pays.

«Peu importe le type d'événements que vous organisez nettoyer un parc, donner du sang, faire du bénévolat pour un centre de sans-abri vous pouvez prendre part à cette journée. Mais cela est plus qu'une simple journée. C'est le commencement d'un engagement à long terme dans votre communauté», a dit Mme Obama.

Pour Jay Simmons, l'appel à l'entraide est l'une des composantes les plus intéressantes de la plateforme d'Obama.

«Si le président désigné réussit à motiver la population, il aura accompli quelque chose d'important, dit-il. Personnellement, Obama m'a donné le goût de m'impliquer. Je pensais que j'étais le seul à penser comme ça. Aujourd'hui, je me rends compte qu'on est des millions à vouloir changer le pays.»

L'environnement au pouvoir

D'origine anglaise, Johanna Hosking habite le quartier Silverlake à Los Angeles. Elle oeuvre pour un service de consultation en efficacité énergétique, et organise des soirées d'information sur la façon de changer ses habitudes de vie pour polluer moins. Elle a aussi lancé un site web humoristique, Theguidegirls.com, qui donne des trucs sur la façon de réduire notre impact environnemental.

Selon Mme Hosking, l'une des conséquences du règne de Bush aura été de fouetter la détermination des environnementalistes. Les décisions prises par l'administration Bush au sujet de la protection de l'environnement étaient si ridicules, dit-elle, que les citoyens n'ont pu faire autrement que de s'organiser.

«Si les Américains avaient attendu que l'exemple vienne de la Maison-Blanche, ils auraient attendu longtemps. Un des résultats des politiques de Bush aura été d'encourager la création d'un vaste de mouvement de fond en faveur du respect de l'environnement. Il y a un effet boule de neige. Les gens sont vraiment impliqués.»

L'une des caractéristiques de la société américaine, dit-elle, c'est que les gens sont ouverts au changement, aux nouvelles façons de faire. «La créativité est bien vue. Dans mes ateliers, je reçois beaucoup d'appuis et d'encouragements. Si je faisais la même chose en Angleterre, je crois que les gens seraient polis, sans plus. Ici, je sens que la différence est appréciée. La différence est vue comme un atout. C'est rafraîchissant.»

L'arrivée au pouvoir d'Obama, dit-elle, signale que les Américains ont envie de tourner la page sur les erreurs du passé. Un processus qui sera long à achever. «Quand je vais visiter mes amis en Angleterre, je me rends compte à quel point l'image des Américains est désastreuse. L'arrivée d'Obama est un accomplissement important. Mais il ne peut pas changer le pays à lui seul. Notre candidat est à la Maison-Blanche, c'est une bonne chose. Maintenant, c'est à nous de faire le travail.»

 

[Extrait du discours]

«C'est la réponse des riches et des pauvres, des démocrates et des républicains, des Noirs, des Blancs, des Latinos, des Asiatiques, des Américains d'origine, des homosexuels, des hétérosexuels, des handicapés et des valides. Les Américains ont adressé un message au monde nous ne sommes pas un amalgame d'États républicains ou démocrates ; nous sommes, et nous serons toujours, les États-Unis d'Amérique.»

Extrait du discours de Barack Obama prononcé le 4 novembre 2008, le soir de sa victoire.