«Un piège? C'est possible. Un complot? Nous verrons.»

Plus de deux mois après cette déclaration de Dominique Strauss-Kahn sur TF1, la thèse du complot est encore loin d'avoir été prouvée dans l'affaire qui porte le nom de l'ancien directeur général du Fonds monétaire international. Mais elle resurgit ces jours-ci à la faveur de la publication dans le bihebdomadaire New York Review of Books d'un long article soulevant des questions inédites sur la journée du 14 mai, au cours de laquelle DSK a été accusé d'agression sexuelle par une femme de chambre de l'hôtel Sofitel à New York.

En entrevue, l'auteur de l'article, Edward Jay Epstein, ne parle pas d'un «complot politique» monté de toutes pièces, mais il conclut qu'on a cherché à nuire à DSK afin de «faire capoter» sa candidature à la présidence française. Dans un communiqué, un des avocats américains de l'ancien ministre socialiste évoque de son côté la thèse d'«un effort délibéré visant à le détruire en tant que force politique».

Téléphone piraté?

L'hypothèse du complot a été rejetée par les représentants de toutes les parties qui y auraient participé, de Nafissatou Diallo, l'accusatrice de DSK, à l'UMP, le parti de Nicolas Sarkozy, en passant par le Sofitel.

Reste qu'Epstein, auteur de plusieurs livres présentant la «face cachée» d'événements historiques, dont l'assassinat de John Kennedy, soulève de nouvelles zones d'ombre. Reste aussi que le New York Review of Books est aux antipodes du NationalEnquirer.

Dans son article, le journaliste de 76 ans raconte, minute par minute, la journée du 14 mai, en commençant par l'appel de DSK à sa femme. Il est 10h07, soit deux heures avant le rapport sexuel consenti ou forcé avec Diallo. L'ex-patron du FMI confie à Anne Sinclair qu'il a un sérieux problème avec un de ses téléphones BlackBerry, qui a vraisemblablement été piraté. Une de ses amies, qui travaille comme documentaliste au siège parisien de l'UMP, vient de lui envoyer un message l'informant «qu'au moins un de (ses) courriels privés récemment envoyés de son BlackBerry à son épouse avait été lu dans les bureaux de l'UMP à Paris».

Ce BlackBerry, que DSK égarera et tentera de récupérer en appelant le Sofitel depuis l'aéroport JFK, ne sera jamais retrouvé, écrit Edward Epstein, tout en précisant que le téléphone avait été désactivé et privé de son système de géolocalisation GPS à 12h51, comme en témoigneraient les archives de la société BlackBerry.

Chambre 2820

Où est passé ce téléphone? La question reste entière. Edward Epstein soulève un autre «mystère», celui de la chambre 2820, située au même étage que celle de Dominique Srauss-Kahn. Diallo y est entrée à plusieurs reprises avant et après sa rencontre d'une durée de six à sept minutes avec DSK.

«Y avait-il quelqu'un dans la chambre 2820 en dehors de Nafissatou Diallo avant et après sa rencontre avec DSK? Si oui, qui étaient-ils et que faisaient-ils là; et pourquoi, dans tous les cas, Diallo a-t-elle nié qu'elle s'était rendue dans la chambre?» se demande le journaliste.

Epstein affirme dans son article que le groupe Accor, propriétaire des hôtels Sofitel, a refusé de répondre à ces questions.

Dans son récit, le journaliste revient également sur une scène survenue à 13h33 et filmée par des caméras de surveillance de l'hôtel new-yorkais. Elle montre Brian Yearwood, ingénieur en chef du Sofitel, et un homme non identifié qui vient tout juste de confier Nafissatou Diallo à la sécurité de l'hôtel après avoir recueilli ses confidences. Se croyant à l'abri des regards, les deux hommes se tapent mutuellement dans les mains, comme s'ils célébraient une réussite.

Complot ou «fantasme» ?

Epstein s'interroge en outre sur le rôle de John Sheehan, identifié comme directeur de la sûreté et de la sécurité chez Accor, à qui le Sofitel de New York a fait appel le 14 mai pour assister les experts de l'établissement. Le journaliste souligne que le plus haut supérieur hiérarchique de Sheehan est René-Georges Querry, ancien membre de la brigade antigang, qui «a travaillé dans la police avec Ange Mancini, coordinateur national du renseignement du président Sarkozy».

De quoi faire saliver les amateurs de théorie de conspiration. Mais les hôtels Sofitel ont démenti hier les insinuations et allégations d'Epstein, affirmant notamment que les deux employés filmés par une caméra de surveillance avaient «catégoriquement nié que (leur) échange ait quelque lien que ce soit avec M. Strauss-Kahn».

Le ministre français de l'Intérieur Claude Guéant a, quant à lui, qualifié de «vrai fantasme» la théorie de complot. «J'ai lui l'article d'Epstein. Qu'est-ce qu'il remarque? Que DSK a égaré son téléphone. Ce n'est pas parce qu'il a égaré son téléphone qu'il y a complot», a dit ce proche du président Sarkozy.