Hani Amir a la tête presque aussi dure que le mur de béton qui surplombe sa maison. Ni les pressions, ni les barbelés ne lui feront quitter l'endroit où il vit avec sa femme, Mounira, et les plus jeunes de leurs six enfants.

Pour se rendre chez les Amir, il faut traverser Masha, village palestinien situé à un peu plus d'une heure de route au nord de Jérusalem. Avec ses fenêtres placardées et ses rues désertes, Masha a des airs de village abandonné. Au bout d'une rue cahoteuse, nous débouchons sur une zone militaire encerclée par des clôtures métalliques et 37 panneaux de béton gris. C'est à l'intérieur de cette zone qu'habitent les Amir.

Terre rocailleuse, rosiers secs, maison aux murs écaillés. Les Amir vivent coupés de Masha, leur village palestinien. Mais ils sont aussi séparés d'Elqana, la coquette colonie juive qui se déploie derrière leur maison. De l'autre côté des barbelés.

Masha se trouve en pleine Cisjordanie, à l'est de la «ligne verte» - la frontière reconnue d'Israël. Au loin, on aperçoit des villages palestiniens et leurs minarets. Mais Hani Amir habite un no man's land militaire, ni tout à fait en Palestine, ni tout à fait en Israël.

Ennui

Averti de notre visite par un coup de fil, Hani descend d'un pas lourd vers la porte grillagée pour nous faire entrer.

Théoriquement, seuls les résidants de sa maison sont autorisés à traverser cette porte. En pratique, les militaires israéliens surveillent distraitement l'endroit. Mais cet environnement de béton et de fer décourage les visiteurs.

«Je m'ennuie, ici, il n'y a personne avec qui jouer», se plaint Sheddad, un gamin de 9 ans, le cadet de la famille.

«Nous sommes très isolés, nos proches craignent de nous exposer à des représailles israéliennes en venant chez nous», soupire sa mère, Mounira.

L'idée d'ériger une barrière protectrice entre Israël et les territoires occupés remonte à plus de 15 ans. C'est l'ancien premier ministre israélien Itzhak Rabin qui l'avait évoquée pour la première fois, à la suite d'un attentat terroriste dévastateur.

Mais c'est un autre premier ministre, Ariel Sharon, qui a fait voter en 2002 les crédits pour la construction de la barrière.

Tantôt mur massif, tantôt clôture métallique surmontée de barbelés, la barrière suit une ligne accidentée, piquant à l'intérieur de la Cisjordanie pour englober des colonies juives. À Masha, les Israéliens ont voulu assurer un tampon de sécurité aux colons juifs d'Elqana. Mais pour cela, il fallait exproprier Hani Amir. Il a dit non, malgré l'offre de compensation. «Je ne partirai jamais», clame-t-il encore aujourd'hui. Pourtant, la barrière a détruit sa vie.

Plus de citronniers

Il y a encore cinq ans, Hani Amir vendait ses citronniers et ses pots en grès dans la pépinière adjacente à sa maison. Il avait aussi un petit restaurant où ses clients, Juifs et Palestiniens, pouvaient discuter autour d'un thé à la sauge.

Quand il a appris que la barrière de protection charcuterait son terrain et détruirait ses serres, Hani Amir a voulu se battre contre le mur. Dans plusieurs causes semblables, les tribunaux ont forcé Israël à déplacer la barrière. Mais pas à Masha.

En regardant par la fenêtre de sa maison, les Amir ne voient plus de pépinière, mais des panneaux de béton gris. Leur maison se dresse seule au milieu des barbelés.

Cette histoire unique a fait le tour de la planète. Des militants internationaux sont venus chez les Amir. Ils ont peint des fleurs et des oiseaux sur «son» mur. Mais même décorée, la paroi reste oppressante.

Coincés dans leur bulle militarisée, les Amir sont aussi coupés des terres qu'ils possèdent dans un village voisin, Azzun Atma. Autrefois, pour y aller, Hani Amir n'avait qu'à traverser Elqana et à filer cinq minutes vers le sud.

Cette route est désormais réservée aux Israéliens. Et la terre de Hani Amir tombe en plein entre le mur et la «ligne verte» - une zone-tampon assujettie à la loi militaire. Pour y accéder, il faut mille détours et un permis. Hani Amir en possède un. Mais pas les hommes qu'il voudrait employer...

«Je ne peux pas tout faire tout seul», dit-il quand nous le retrouvons sur ses terres par une journée de bruine froide. À 51 ans, Hani a le visage buriné et un teint de cendre. Il a l'air vieux.

«Je suis incapable de travailler ma terre. Je viens ici simplement pour la regarder.»

Le voisin

Rahamim Ashwal est le voisin des Amir depuis 20 ans. Il jure qu'il aime bien Hani, même s'il le trouve un peu têtu.

Les deux familles ont vu naître et grandir leurs enfants. Les Ashwal à Elqana, une ville juive coquette avec des toits orange et des amandiers en fleurs. Les Amir à Masha, village palestinien moribond depuis qu'il ne fait plus affaire avec ses voisins juifs.

Avant, les Ashwal et les Amir s'invitaient parfois à prendre le thé. «Hani Amir nous donnait des plantes en échange de vêtements», se souvient Rahamim Ashwal.

Mais un jour, un gars d'Elqana a été assassiné à Masha, où il était allé faire réparer son auto. Depuis, les colons juifs ont peur.

Plus personne ne va faire réparer son auto à Masha. Des enseignes y pendent de guingois sur les murs d'ateliers abandonnés. Et une clôture métallique sépare désormais les maisons des deux voisins.

«Personne n'aime les barrières mais, pour moi, elle représente la sécurité», dit Rahamim. Ce comptable croit que Hani aurait dû accepter l'offre de compensation israélienne. Et que s'il l'a rejetée, c'est par crainte de représailles palestiniennes.

Pour un Palestinien, laisser sa maison aux Israéliens, c'est assez pour passer pour un «collabo», un statut à haut risque. Pourtant Mounira, la femme de Hani, quitterait volontiers cette maison de malheur étranglée de toutes parts.

Mais c'est Hani qui décide. Et il n'a qu'une phrase à offrir à ceux qui lui demandent pourquoi il continue de vivre au milieu des barbelés. «Ici, c'est chez moi.»

  Le mur de Cisjordanie en chiffres

2002: Début de la construction.

409 km: Longueur déjà construite.

723 km: Longueur prévue.

4 millions: Coût estimé du mur par kilomètre construit.

9%: Pourcentage de la Cisjordanie enclavée du côté israélien du mur, selon le tracé actuel.

48: Implantations juives annexées à Israël par la barrière de sécurité.

247800: Nombre d'habitants.