Danny Devenny, 56 ans, est l'un des muralistes républicains les plus prolifiques de l'Irlande du Nord. Cet ancien membre de l'IRA a appris à peindre derrière les barreaux d'une sombre geôle de Belfast.

Mark Ervine est le fils d'un ancien paramilitaire loyaliste. Tous les jeudis de son enfance, ce muraliste de 36 ans a manqué l'école pour rendre visite en prison à son père, arrêté en 1974 au volant d'une voiture bourrée d'explosifs. Les deux hommes habitent le même secteur ouvrier de l'est de Belfast. Ils ne s'y sont jamais croisés: un «mur de paix» sépare leurs maisons toutes proches. «Nous nous sommes rencontrés par hasard, il y a trois ans, à une exposition, raconte M. Ervine. Ça a été un choc de découvrir tout ce que nous avions en commun.»

Toute leur vie, ils avaient peint des murales propagandistes à la gloire de leur clan, de chaque côté des murs qui séparent catholiques et protestants de Belfast. Mais en 2007, ils ont choisi de reproduire Guernica, le célèbre tableau de Picasso. Ensemble.

«Guernica dénonce l'horreur et la futilité de la guerre. Pour des artistes issus de deux communautés rivales, peindre ce tableau était une sorte de déclaration. Notre message, c'était: plus jamais.»

Bien vite, les deux hommes que tout séparait sont devenus amis. Côte à côte, ils ont peint d'autres murales. «Notre but, c'est d'établir un dialogue entre des gens qui n'ont pas la chance de se rencontrer parce qu'il y a un mur entre eux, explique M. Ervine. Nous voulons briser les préjugés qu'ils entretiennent les uns envers les autres.»

Il faudra encore bien des coups de pinceaux pour y arriver. Onze ans après la signature des accords de paix en Irlande du Nord, de nombreuses murales présentent toujours des scènes ultraviolentes: hommes encagoulés, l'air menaçant, brandissant leurs kalachnikovs vers le ciel ou les pointant sur les passants.

Toutes ces murales se trouvent en zones protestantes, souligne Bill Rolston, auteur de trois livres sur le sujet. «Les loyalistes sont si habitués de peindre des hommes armés qu'ils ne savent pas trop quoi faire d'autre. Surtout, leur philosophie politique est tellement liée aux armes qu'il leur est difficile de visualiser autre chose. Ils craignent que si on la leur enlève, ils cesseront d'exister.»

Les républicains ne partagent pas cette angoisse existentielle. Ils ont toujours eu une idéologie politique plus large, explique M. Rolston. Même pendant les Troubles, leurs murales abordaient de nombreux thèmes, de la mythologie irlandaise aux grèves de la faim des prisonniers de l'IRA. «La paix retrouvée, en 1998, ils étaient assez confiants pour retirer les armes des murales, comme ils les avaient retirées des rues.»

Censure gouvernementale?

Le gouvernement nord-irlandais aimerait faire disparaître les hommes encagoulés des murs de la province. L'an dernier, il a mis sur pied un programme de «réimagerie» de 7 millions de dollars, destiné à remplacer ces murales guerrières. En les couvrant de jolis paysages inoffensifs, par exemple.

Pour avoir droit à un financement, les muralistes doivent faire approuver leur projet par les autorités. Aux yeux de M. Ervine, cela équivaut à de la censure. «Les murales n'ont pas créé la situation, elles la reflètent, souligne-t-il. Le geste du gouvernement est politique, peut-être encore plus que les images qu'il tente de faire disparaître.»

Plutôt que de «réimager», il vaudrait mieux «réimaginer», dit M. Rolston. «Si les loyalistes acceptaient de vivre avec des catholiques, s'ils pouvaient entrevoir un avenir où tous travailleraient ensemble dans ce pays, alors il s'agirait d'un véritable changement. Bien plus que s'ils remplacent les hommes armés sur leurs murs par des couples qui dansent - et qui n'évoquent rien pour personne.»