Alors que la plupart des pays touchés par le Printemps arabe ont basculé dans la guerre civile ou la répression tous azimuts, la Tunisie poursuit son chemin de la dictature vers la démocratie. La tenue en fin de semaine d'élections législatives - remportées par le principal parti laïque du pays - marque une nouvelle étape-clé pour le petit pays nord-africain, qui fait figure de «modèle» aux yeux de plusieurs analystes.

Le soulèvement

C'est en Tunisie, plus particulièrement dans la ville de Sidi Bouzid, qu'a pris naissance le Printemps arabe sur fond d'insatisfaction économique et politique. Le président Zine el-Abidine Ben Ali, qui dirigeait le pays d'une main de fer, s'est enfui vers l'Arabie saoudite au début de 2011, pavant la voie à l'arrivée au pouvoir des islamistes d'Ennahda. La formation a connu un passage trouble à la tête du pays, ponctué par la mort violente de deux importants opposants qui a alimenté une longue crise politique. Sous forte pression de la rue, ses dirigeants ont accepté en janvier de céder les rênes du pays à un gouvernement de technocrates jusqu'à la tenue des élections de dimanche.

Le compromis

Najib Larini, spécialiste du monde arabe rattaché à l'Université de Montréal, estime que les dirigeants d'Ennahda, en acceptant de «rebrasser les cartes politiques» par leur départ du gouvernement, ont montré qu'ils croient à la démocratie et sont prêts à faire des compromis dans l'intérêt du pays. Leur approche, précise-t-il, reflète l'existence en Tunisie d'une «identité nationale forte» qui aide à transcender les appartenances religieuses ou tribales et explique en partie pourquoi le pays a pu éviter le pire. La «discrétion» de l'armée, qui est restée soumise au pouvoir civil, a aussi facilité la transition, note M. Larini. Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes à Paris, est aussi d'avis que les islamistes ont fait un geste important pour la stabilité du pays au début de l'année en montrant «qu'ils s'inscrivent pleinement dans le processus politique».

Le vote

Même si les résultats définitifs du scrutin n'étaient pas disponibles hier au moment de mettre sous presse, le principal parti laïque du pays, Nidaa Tounès, était donné gagnant par les médias. Le parti Ennahda, arrivé en deuxième position, a fait savoir que son leader historique, Rached Ghannouchi, avait contacté le dirigeant de la formation adverse, Béji Caïd Essebsi, pour lui transmettre ses félicitations. Le parti de M. Essebsi, un politicien d'expérience qui a travaillé sous le père de l'indépendance Habib Bourguiba tout comme sous l'ancien dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, ne disposera cependant pas de la majorité requise pour gouverner seul.

La suite

Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes, s'attend à ce que les dirigeants de Nidaa Tounès et d'Ennahda «coopèrent» pour la suite des choses. Il prévient que le prochain gouvernement, quelle que soit sa composition, devra s'attaquer en priorité à la situation économique, qui figure au coeur des préoccupations de la population. «Si les Tunisiens n'ont pas plus de travail, et qu'il n'y a pas moins de chômage, ça n'ira pas», souligne l'analyste. Najib Larini, de l'Université de Montréal, pense que le renforcement des institutions du pays va favoriser la stabilité et entraîner la reprise du tourisme et des investissements étrangers. «Si on consolide le système, le reste va suivre», dit-il.