Le premier ministre tunisien Ali Larayedh a annoncé jeudi avoir remis sa démission, conformément à un accord pour résoudre une longue crise politique, et alors que le pays est une nouvelle fois déstabilisé par des conflits sociaux émaillés de heurts.

Parallèlement, la Constituante a introduit dans l'après-midi le concept de parité homme-femme dans un amendement au projet de Constitution, texte exceptionnel dans le monde arabe. L'article 45 dans son ensemble a été approuvé dans la soirée.

«Comme je m'y étais engagé (...), je viens de présenter la démission du gouvernement», a déclaré M. Larayedh lors d'une conférence de presse. «Le président m'a chargé de poursuivre la supervision des affaires du pays jusqu'à la formation du nouveau gouvernement».

La Constituante ayant formé mercredi une instance électorale et la Constitution étant en cours d'adoption, les conditions fixées dans un accord cosigné par l'essentiel de la classe politique étaient réunies pour sa démission, avait relevé plus tôt M. Larayedh.

Selon ce compromis, le ministre sortant de l'Industrie, Mehdi Jomaâ, sera appelé à former un cabinet d'indépendants devant conduire la Tunisie jusqu'à des législatives et une présidentielle en 2014.

Une fois désigné officiellement, M. Jomaâ aura 15 jours pour constituer son équipe, puis il devra obtenir la confiance de l'Assemblée pour devenir le cinquième chef de gouvernement depuis la révolution de janvier 2011.

Cela entérinera aussi le départ volontaire du pouvoir du parti islamiste Ennahda, qui avait remporté l'élection de l'Assemblée nationale constituante en octobre 2011, premier scrutin libre de l'Histoire de la Tunisie.

Des négociations chaotiques ont conduit à cette issue, après de nombreux reports, pour résoudre la profonde crise politique déclenchée par l'assassinat en juillet de l'opposant Mohamed Brahmi.

Jeudi, la Constituante a en outre poursuivi l'examen article par article du projet de Constitution, en adoptant une disposition prévoyant  que «l'État oeuvre à la réalisation de la parité des hommes et des femmes dans les assemblées élues».

La Constituante avait déjà inclus un article d'ordre général affirmant: «Tous les citoyens et les citoyennes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune».

La Tunisie, sans consacrer l'égalité des sexes, est depuis 1956 le pays arabe accordant le plus de droits aux femmes. L'homme reste cependant privilégié, notamment concernant l'héritage.

Taxes suspendues face aux heurts

La classe politique s'est engagée à adopter la future Loi fondamentale avant le 14 janvier, 3e anniversaire de la révolution de 2011. En une semaine, un tiers des articles environ ont été passés en revue.

L'Assemblée doit cependant adopter à la majorité des deux-tiers le texte entier de la Constitution, faute de quoi un référendum devra être organisé.

Élue en octobre 2011, l'assemblée devait achever sa mission en un an, mais le processus a été ralenti par un climat politique délétère, l'essor de groupes jihadistes armés et des conflits sociaux.

Cette journée mouvementée sur le plan politique intervient aussi dans un contexte social tendu, des violences ayant éclaté ces derniers jours dans plusieurs villes du pays après l'annonce de nouveaux impôts.

Des affrontements violents ont opposé jeudi après-midi plusieurs centaines de manifestants et forces de sécurité ont dans une cité populaire de Kasserine (centre-ouest). Des heurts sporadiques avaient encore lieu en soirée, selon un journaliste de l'AFP.

Une source policière a fait état de huit blessés parmi les policiers.

Les violences des derniers jours sont concentrées dans l'intérieur déshérité du pays, berceau de la révolution qui avait été nourrie par la pauvreté et les disparités de développement. Plusieurs bâtiments publics, en particulier des commissariats, ont été incendiés.

Dans son dernier discours avant sa démission, M. Larayedh avait voulu désamorcer ces tensions en annonçant la suspension d'une série de nouvelles taxes sur les transports.

«Pour ne pas donner de chance au terrorisme et aux groupes criminels (...), nous avons décidé de suspendre la mise en oeuvre des taxes concernant les transports privés, de marchandises, de personnes et pour l'agriculture», a-t-il dit.

L'économie, minée par les conflits politiques, sociaux et l'essor d'une mouvance jihadiste armée, reste anémique. Le taux de croissance, inférieur à 3% en 2013, est largement insuffisant pour endiguer le chômage qui atteint ainsi plus de 30% des jeunes diplômés.