Les pourparlers entre les islamistes tunisiens au pouvoir et l'opposition pour résoudre une profonde crise politique, sur fond de violences djihadistes, ont débuté vendredi après trois mois de bras de fer et un engagement écrit du premier ministre à démissionner.

«Le monde entier nous regarde et attend qu'on réussisse, et nous avons enregistré un premier succès avec le lancement officiel du dialogue national,» a déclaré Houcine Abassi, le secrétaire général du syndicat UGTT et principal médiateur de la crise, selon un communiqué.

«Nous allons travailler ensemble pour mettre en oeuvre la feuille de route selon le calendrier prévu et nous entendre sur la Constitution», a-t-il ajouté.

Ces pourparlers à huis clos doivent résoudre une crise politique qui paralyse le pays depuis l'assassinat fin juillet de l'opposant Mohamed Brahmi, crime attribué à la mouvance djihadiste dont les attaques se multiplient depuis la révolution de janvier 2011.

Seul absent de marque, le Congrès de la République, petit parti allié aux islamistes d'Ennahda, a refusé de participer au dialogue national.

L'opposition accuse les islamistes d'avoir fait preuve de laxisme face au courant salafiste, et de chercher à limiter les libertés acquises avec la révolution.

Première démocratie arabe

Avec le lancement du dialogue, c'est aussi un compte à rebours qui s'enclenche pour le gouvernement dirigé par Ennahda.

Selon la feuille de route de négociations, d'ici sept jours, la classe politique doit désigner un premier ministre indépendant qui aura deux semaines pour former son cabinet apolitique. Le gouvernement d'Ali Larayedh devra démissionner à l'issue de ce processus.

Parallèlement, les négociateurs auront un mois pour résoudre les désaccords sur la future Constitution et l'Assemblée nationale constituante (ANC) devra en adopter les articles au fur et à mesure.

Autres sujets de contentieux à résoudre : créer une législation et une commission électorales avant de fixer la date des législatives et de la présidentielle.

«Le train de la sortie de crise a été mis sur les rails aujourd'hui et il arrivera en gare dans quelques mois (...) avec des élections libres et honnêtes qui produiront la première démocratie du monde arabe», a déclaré avant le début des pourparlers le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi.

La soixantaine de députés d'opposition qui boycottaient l'Assemblée se sont aussi engagés à retourner dans l'hémicycle.

«Nous sommes dès aujourd'hui à la disposition de l'ANC», a dit l'un d'eux, Hichem Hasni.

Annoncé pour 9 h GMT (5 h à Montréal) vendredi, après deux reports les 5 et 23 octobre, le lancement des négociations a été retardé jusque dans l'après-midi, l'opposition estimant insuffisantes les garanties sur la démission à venir du premier ministre Ali Larayedh.

Ce dernier a finalement soumis une promesse écrite de laisser la place à un cabinet d'indépendants dans les trois semaines suivant le début des pourparlers.

Essor de violences djihadistes

Ce dialogue national intervient en pleine crise sécuritaire, les attaques attribuées aux djihadistes s'étant multipliées.

La Tunisie observe depuis jeudi un deuil de trois jours après que six gendarmes et un policier sont morts dans deux incidents séparés.

Signe du climat de tensions, des policiers ont grièvement blessé par balle vendredi un jeune homme, ivre, qui avec des amis avait forcé en voiture sur des barrages de police, selon le ministère de l'Intérieur. Un policier ayant participé à l'opération avait indiqué à l'AFP que les suspects étaient des «terroristes».

Le ministère a dans ce contexte appelé les usagers de la route «à respecter les injonctions des forces de la sécurité intérieure et ceci dans le cadre de la situation sécuritaire exceptionnelle qui autorise les agents à recourir aux moyens d'intervention conformes à la loi». Le ministère semble évoquer l'usage de balles réelles.

Les funérailles, jeudi, des gendarmes et du policier ont aussi été émaillées de violences visant des bureaux d'Ennahda, dans le nord-ouest de la Tunisie. Les heurts ont fait cinq blessés.

Ennahda, assurant être en «guerre contre le terrorisme», ce qui implique selon lui des pertes, a dénoncé vendredi des attaques «barbares» et «préméditées». Le parti a promis de porter plainte «afin que ces crimes ne restent pas impunis».

La Tunisie, déstabilisée par les crises politiques et l'essor des violences djihadistes, n'est pas parvenue depuis la révolution de janvier 2011 à se doter d'institutions pérennes et d'une Constitution.

L'assassinat du député Mohamed Brahmi fin juillet a achevé de paralyser la vie politique et institutionnelle.