Le démarrage du «dialogue national» censé sortir la Tunisie d'une profonde crise politique a été reporté de mercredi à vendredi, l'engagement du Premier ministre islamiste sur «le principe» d'une démission du gouvernement ayant été jugé «ambigu» par l'opposition.

Parallèlement, le pays a été endeuillé une nouvelle fois mercredi par des combats avec un groupe armé qui ont coûté la vie à six gendarmes, alors que l'essor d'une mouvance jihadiste ne cesse de déstabiliser le pays. Un policier a aussi été tué dans le nord du pays, dans des circonstances qui n'ont pas encore été éclaircies, selon le ministère de l'Intérieur.

Le «dialogue national» de sortie de crise était censé commencer mercredi après un engagement du gouvernement à démissionner. Mais les propos en ce sens du Premier ministre, l'islamiste Ali Larayedh, ont été jugés ambigus par l'opposition si bien que les négociations n'ont pas débuté.

«Nous allons mener plus de concertations avec le Premier ministre pour avoir plus d'éclaircissements sur son discours d'aujourd'hui (mercredi). Nous avons convenu que le dialogue national commencera vendredi à 10H00», a déclaré Houcine Abassi, secrétaire général du syndicat UGTT, principal médiateur de la crise politique après une réunion avec les différents acteurs politiques.

M. Larayedh a déclaré en début de soirée, avec près de cinq heures de retard, son «engagement sur le principe de renoncer au gouvernement dans le cadre de la complémentarité des différentes phases de la feuille de route» du dialogue national.

«Nous ne nous soumettrons à personne», a-t-il ajouté, en mettant seulement en avant «l'intérêt de la patrie».

De son côté, le président Moncef Marzouki a formulé des assurances similaires à la télévision, soulignant que M. Larayedh «ne reviendrait pas sur le principe d'une démission tant que l'Assemblée nationale constituante acceptait de designer une commission électorale indépendante (...) et achevait la Constitution».

Mais l'opposition a jugé ces propos insuffisants, réclamant que le gouvernement s'engage à partir dans les trois semaines qui suivent le début des négociations.

«La déclaration du chef du gouvernement était ambiguë (...) nous ne pouvons entrer dans le dialogue national», a estimé Jilani Hammami, représentant du Parti des travailleurs.

La feuille de route rédigée par quatre médiateurs dont l'UGTT prévoit qu'un nouveau Premier ministre indépendant soit désigné par l'ensemble de la classe politique une semaine après le début du dialogue et qu'un cabinet de technocrates soit formé dans les deux semaines qui suivent. Le gouvernement est censé démissionner à l'issue de ce processus.

Mais parallèlement, l'opposition et Ennahda doivent s'entendre sur le contenu de la nouvelle Constitution, dont l'élaboration est en panne, rédiger une loi électorale, former l'instance chargée d'organiser les élections et fixer le calendrier pour les prochains scrutins.

Mercredi, quelques milliers de militants de l'opposition ont manifesté dans le centre de Tunis pour réclamer le départ d'Ennahda. Dans la soirée, ils étaient encore quelques dizaines place de la Kasbah, où siège le gouvernement, certains y dressant même une tente pour y passer la nuit.

«En train de vaincre le terrorisme» 

Sur le front sécuritaire, six gendarmes et un combattant armé ont été tués dans des affrontements avec un groupe «terroriste» dans la région de Sidi Bouzid (centre-ouest), a confirmé M. Larayedh, précisant que les forces tunisiennes «pourchassaient» les autres assaillants.

«L'Etat tunisien est en train de vaincre le terrorisme (...) malgré les sacrifices», a-t-il assuré.

Un deuil national de trois jours a été décrété et l'UGTT a appelé à une grève générale jeudi dans la région de Sidi Bouzid.

Les nouveaux combats risquent cependant de compliquer encore la position des islamistes d'Ennahda et de leurs alliés, accusés par l'opposition d'avoir fait preuve de laxisme vis-à-vis de la mouvance jihadiste à qui ont été attribués les assassinats du député Mohamed Brahmi en juillet et de l'opposant Chokri Belaïd en février.

La semaine dernière déjà, deux gendarmes avaient été tués dans la région de Béja, à 70 km de Tunis. Si les autorités ont ensuite annoncé la mort de neuf «terroristes» dans une opération militaire, ces combats ont déclenché aussi une fronde au sein des forces de l'ordre.

Des dizaines de militants de syndicats de policiers ont chassé le président et le Premier ministre d'une cérémonie à la mémoire des gendarmes tués.

La Tunisie, berceau du printemps arabe, n'a plus d'institutions pérennes depuis près de trois ans faute de consensus sur la future Constitution.

Après trois mois de crise, de promesses de compromis non tenues et un premier lancement avorté des négociations le 5 octobre, les journaux tunisiens se montraient très sévères mercredi pour la classe politique.

«Un dialogue national démarre le jour d'un anniversaire symbolique, mais il part hypothéqué par la prédominance de la suspicion, de la duplicité de langage et l'ambiguïté des positions», assène Le Temps dans son éditorial.

Le Quotidien relève pour sa part que «l'heure de vérité approche à pas de géant» pour la Tunisie qui risque de basculer vers «un avenir encore plus incertain et plus chaotique».

L'opposition reproche avant tout à la coalition tripartite dirigée par Ennahda d'avoir laissé émerger des groupes armés djihadistes responsables notamment de l'assassinat de deux opposants cette année et d'attaques contre les forces de l'ordre.

Les islamistes rejettent ces accusations, assurant être «en guerre contre le terrorisme». Ainsi, la semaine dernière une opération armée déclenchée après que deux gendarmes ont été tués s'est soldée par la mort de neuf combattants clandestins.

Mais le gouvernement se retrouve aussi face à une fronde au sein des forces de l'ordre qui estiment être sous-équipées et mal protégées pour lutter contre les djihadistes.

Des syndicats de policiers ont ainsi chassé vendredi le président Moncef Marzouki et le premier ministre d'une cérémonie à la mémoire des gendarmes tués.