Un rappeur tunisien a été condamné jeudi à six mois de prison ferme pour des chansons jugées insultantes par les autorités, preuve selon ses partisans, que la Tunisie va vers une «nouvelle dictature».

«Nous avons décidé d'une peine de six mois fermes avec exécution immédiate» de la sentence, a annoncé le juge Belgacem Chaïeb après moins d'une heure et demie d'audience dans la station balnéaire de Hammamet, à 60 km au sud de Tunis.

«Ayez pitié de nous, Monsieur le juge!», a lancé dans la salle la mère du condamné Ahmed Ben Ahmed, plus connu sous son nom de scène, Klay BBJ.

Lors de l'audience, le rappeur a estimé que ses critiques contre les islamistes d'Ennahda au pouvoir, souvent accusés de chercher à limiter la liberté d'expression, étaient la véritable raison de son procès.

«Nos chansons critiquent la situation actuelle en Tunisie et le gouvernement, ni plus ni moins. Je suis parmi les rappeurs les plus critiques du gouvernement et c'est pour cela que (les autorités) s'acharnent», a-t-il lancé devant le juge.

L'avocat du musicien a indiqué qu'il fera appel de la condamnation. «C'est une nouvelle injustice visant les artistes. Je vais interjeter appel et continuer le combat», a déclaré à l'AFP Me Ghazi Mrabet.

Klay BBJ était jugé pour outrage à des fonctionnaires, atteinte aux bonnes moeurs et diffamation en raison de textes qu'il a chantés avec un autre musicien, Weld El 15, lors d'un concert en août à Hammamet.

Les deux chanteurs avaient été condamnés fin août par contumace pour ces faits à 21 mois de prison ferme sans avoir été prévenus de la tenue du procès. Klay BBJ avait décidé de faire opposition à ce jugement si bien qu'il était rejugé jeudi en première instance.

Weld El 15 a lui choisi de ne pas contester le verdict et est en cavale. Il avait déjà été condamné pour des faits similaires à deux ans de prison, peine réduite à six mois avec sursis en appel en juillet.

Un pas vers une nouvelle dictature

Très émus, les partisans de Klay BBJ ont dénoncé durement sa condamnation, y voyant la preuve que les autorités tunisiennes, moins de trois ans après la révolution de janvier 2011, cherchent à juguler la liberté d'expression.

«C'est un procès politique de plus! C'est un scandale de mettre en taule un artiste pour ses chansons. C'est un autre pas vers la mise en place d'une nouvelle dictature dans le pays», a martelé Thameur Mekki, qui dirige le comité de soutien aux rappeurs inquiétés par la justice.

«Ils veulent nous humilier un à un, écraser tout espoir en nous, j'ai peur pour notre pays», a dit à l'AFP Mohamed Amine Hamzaoui, figure de la scène du rap tunisien, les yeux rougis par les larmes.

Plusieurs dizaines de jeunes, des adolescents pour la plupart, se sont rassemblés en début d'après-midi devant le tribunal en scandant «Free Klay». Aucun débordement n'a eu lieu.

Les organisations de droits de l'homme dénoncent régulièrement le recours au Code pénal hérité du président déchu Zine el Abidine Ben Ali pour faire taire la critique.

Outre les poursuites contre des rappeurs, plusieurs affaires ont laissé un goût amer aux défenseurs des droits de l'homme. Le militant athée Jabbeur Mejri a été condamné en mars 2012 à sept ans et demi de prison pour avoir publié sur l'internet des caricatures du prophète Mahomet. Un autre jeune, Ghazi Beji, condamné à la même peine pour les mêmes faits, a obtenu l'asile politique en France.

Un cinéaste a par ailleurs passé un mois en détention provisoire pour avoir jeté un oeuf sur le ministre de la Culture. Deux journalistes ont aussi été incarcérés dans différents volets de cette affaire.