Un rappeur tunisien a été condamné jeudi à deux ans de prison pour une chanson insultant la police, un jugement qui a déclenché des heurts et suscite une nouvelle polémique sur l'état de la justice et des libertés dans le pays.

Le verdict a été annoncé par le juge du tribunal de Ben Arous, une banlieue de Tunis, devant lequel Alaa Yaâcoub, dit «Weld El 15», comparaissait libre. Il a été aussitôt incarcéré.

Des protestations et heurts avec la police ont éclaté dès l'annonce du verdict.

Des cris se sont élevés dans la salle d'audience parmi les partisans du chanteur et la police est intervenue brutalement pour évacuer ces artistes, amis et proches du rappeur de 25 ans.

Certains ont été pourchassés à l'extérieur du tribunal par les policiers présents en nombre dès l'ouverture du procès.

Plusieurs personnes ont été violemment frappées par les policiers, y compris un journaliste du portail d'information Nawaat, Emine M'tiraoui, qui a été projeté au sol et frappé par des policiers, a constaté l'AFP.

Durant ces heurts, un gaz irritant s'est répandu aux alentours, mais la police et les partisans de Weld El 15 s'accusaient mutuellement d'en être à l'origine.

Au moins trois personnes ont été interpellées.

«Le jugement rendu est très sévère pour un artiste qui a décidé de se livrer de son propre gré à la justice», a réagi l'avocat principal de la défense Me Ghazi Mrabet.

«C'est d'autant plus injuste qu'il n'existe aucun texte pour réprimer un travail artistique», a-t-il ajouté.

Le musicien avait été condamné par contumace en mars à deux ans de prison ferme après la diffusion sur Youtube d'un clip intitulé «Boulicia Kleb» (Les policiers sont des chiens).

Il s'attendait à une peine plus clémente, étant donné qu'il s'est rendu à la justice.

Selon son avocat, le rappeur avait été inculpé d'une demi-douzaine de délits dont de «complot pour commettre des violences contre des fonctionnaires» et «d'outrage à la police».

Avant l'audience, le musicien a attendu plusieurs heures son procès dans un café avec ses amis.

Il avait aussi confié sa «peur» à l'AFP.

«J'ai peur parce que dans un pays comme la Tunisie la loi n'est pas appliquée, on peut s'attendre à tout», avait-il dit même s'«il n'y a aucune raison ou fondement juridique pour me mettre en prison».

«J'ai utilisé dans la chanson les mêmes termes dont la police use pour parler des jeunes. La police doit respecter les citoyens si elle veut être respectée», avait-il estimé.

Dans l'opposition tunisienne, des voix se sont élevées contre la sévérité de ce jugement alors qu'à l'inverse 20 assaillants islamistes de l'ambassade des États-Unis en septembre 2012 n'ont écopé que de peines avec sursis en mai dernier.

«Weld 15 a eu deux ans fermes et du sursis pour l'attaque de l'ambassade des États-Unis, j'ai mal pour notre jeunesse dans un moment aussi critique», a réagi sur Twitter la députée Karima Souid.

L'opposition laïque tunisienne accuse régulièrement le gouvernement dirigé par les islamistes d'Ennahda d'instrumentaliser la justice pour limiter la liberté d'expression et orchestrer une islamisation rampante de la société.

Plusieurs affaires de liberté d'expression ont fait scandale en Tunisie depuis leur arrivée au pouvoir quelques mois après la révolution de janvier 2011.

Encore mercredi, trois militantes européennes du mouvement féministe Femen ont été condamnées à quatre mois fermes pour une manifestation seins nus.

Selon le juge, elles se sont rendues coupables d'atteintes à la pudeur alors que leurs partisans y voient une atteinte à la liberté d'expression et aux droits des femmes.

En mars 2012, deux jeunes chômeurs et militants athées ont été condamnés à plus de sept ans de prison pour avoir diffusé sur Facebook des caricatures du prophète. L'un d'eux a pu fuir avant le procès et il vient d'obtenir l'asile politique en France.