Après les élections démocratiques d'octobre, la Tunisie post-dictature est soumise à un nouveau test de la liberté d'expression. Jeudi, les tribunaux ont annoncé que le procès de Nabil Karoui aura lieu en janvier. Son crime? Avoir autorisé le mois dernier la diffusion du film d'animation franco-iranien Persepolis, dont une scène montre Dieu avec une barbe blanche.

Persepolis

C'est le récit autobiographique de Marjane Satrapi, fille d'une famille iranienne progressiste et politisée, de la révolution irannienne de 1979 à sa nouvelle vie en Europe. Les quatre tomes de la bande dessinée sont parus entre 2000 et 2003. En 2007, l'adaptation cinématographique de Persepolis remporte le prix du jury du Festival de Cannes, et est primée dans plusieurs autres festivals. Et le 7 octobre dernier, Nessma TV a diffusé le film sur les ondes tunisiennes.

Brise

Elle s'appelle Nessma, qui signifie la «brise»: un vent doux, mais suffisamment fort pour soulever des tempêtes. Cette chaîne de télévision privée tunisienne n'a pas hésité, dans les premières heures de la révolution du jasmin, à soutenir les opposants à Ben Ali avant la chute du dictateur.

Aniconisme

Défini comme «l'absence d'images saintes dans une tradition religieuse», l'aniconisme est présent dans l'islam comme il est aussi présent dans la tradition judaïque. Cette interdiction de représenter Dieu, férocement défendue par les islamistes, est à l'origine de nombreux heurts entre l'Occident et le monde musulman dans la dernière décennie (dont les émeutes suivant la publication de caricatures de Mahomet au Danemark en 2005). C'est aussi ce qui a suscité la colère des salafistes tunisiens: dans Persepolis, une scène de quelques secondes montre une jeune fille qui a une conversation imaginaire avec Dieu, représenté par un vieil homme à la longue barbe blanche qui se confond avec les nuages.

Liberté

La scène a provoqué l'ire des salafistes et la désapprobation de plusieurs Tunisiens, qui ont reproché à la chaîne de jeter de l'huile sur le feu à 15 jours des élections. Dans les jours qui ont suivi, les voitures des cadres de la chaîne et la résidence de Nabil Karoui ont été incendiées, même si celui-ci avait présenté ses excuses. «Aujourd'hui, nous assistons à un procès d'opinion qui nous rappelle la période de l'inquisition», a déclaré un des journalistes-vedettes de Nessma, Sofiene Ben Hamida. Selon lui, il faut voir dans la colère des salafistes «une instrumentalisation honteuse du sentiment religieux du peuple tunisien à des fins politique».