La pression de la rue pour faire tomber le gouvernement de transition dominé par les ministres du régime Ben Ali s'est accentuée dimanche à Tunis devant le palais du Premier ministre, où des jeunes venus du centre-ouest du pays devaient passer la nuit, défiant le couvre-feu.

La poursuite des manifestations tout au long du week-end à Tunis a relancé les spéculations sur la capacité du gouvernement provisoire à résister à la pression populaire, alors qu'un appel à la grève illimitée des enseignants du primaire a été lancé pour lundi, date théorique de reprise des cours.

L'agence officielle tunisienne TAP a par ailleurs annoncé l'arrestation de Larbi Nasra, propriétaire de la chaîne de télévision privée Hannibal, accusé de «haute trahison et complot contre la sécurité de l'État» pour avoir voulu favoriser le retour du président déchu Zine El Abidine Ben Ali.

«Nous n'allons pas quitter la place avant que ce gouvernement dégage», a déclaré peu avant l'entrée en vigueur du couvre-feu à 20h (19h GMT, 14h, heure de Montréal) Mizar, un étudiant de Tunis originaire de Sidi Bouzid (centre-ouest), devant le palais de la Kasbah qui abrite les bureaux du Premier ministre, Mohammed Ghannouchi.

Alors que quelques milliers de personnes - syndicalistes, islamistes, militants de gauche ou simples Tunisois accompagnés de femmes et enfants- ont manifesté sur place toute la journée, ils étaient encore des centaines dans la soirée à exiger la démission du gouvernement.

La plupart sont de jeunes ruraux déshérités, partis samedi du centre-ouest du pays, foyer de la «révolution du jasmin» - dont la répression par la police a fait une centaine de morts selon l'ONU- et arrivés dimanche à l'aube à Tunis formant un convoi hétéroclite baptisé «caravane de la libération».

Ils s'organisaient pour passer la nuit dans des sacs de couchage ou sous des tentes, tandis que des voisins leur apportaient sandwiches et boissons.

«Nous allons très probablement les laisser ici parce qu'ils sont venus de loin et ne peuvent aller nulle part. Mais nous allons leur interdire de se déplacer» dans la capitale, a déclaré à l'AFP un officier de l'armée sur place, sous couvert de l'anonymat.

Un nouveau groupe d'environ 300 habitants de Kasserine (centre-ouest), autre haut lieu de la révolte populaire, a rejoint les protestataires 45 minutes avant le couvre-feu.

Des messages sur Facebook faisaient état d'autres groupes de provinciaux s'organisant pour marcher lundi sur la capitale.

«Le peuple vient faire tomber le gouvernement», avaient scandé dès l'aube les participants de la «Caravane de la libération» dans les rues encore désertes et glaciales de la capitale. Tout au long de la journée, ils ont été rejoints par un flot continu de manifestants.

Très contesté, le gouvernement semble toujours tabler sur un très hypothétique essoufflement du mouvement dans les jours à venir et s'efforce de remettre le pays sur les rails en relançant notamment l'activité économique.

Lundi sera une journée test pour jauger l'évolution du rapport de force rue-gouvernement.

Écoliers, collégiens et une partie des lycéens doivent théoriquement reprendre le chemin des classes, fermées depuis le 10 janvier, quatre jours avant la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite.

Mais le syndicat des enseignants du primaire a appelé à une «grève générale illimitée».

Le ministre de l'Enseignement supérieur, Ahmed Ibrahim, opposant au régime Ben Ali, a appelé les instituteurs à renoncer à cette «grève irresponsable», lors d'une réunion de son parti, le mouvement Ettajdid.

Les autorités ont par ailleurs annoncé dimanche l'arrestation et l'assignation à résidence de trois des plus proches collaborateurs de Ben Ali, le président du sénat et ancien ministre de l'Intérieur Abdallah Kallel, l'éminence grise du régime, Abdel Aziz Ben Dhia, et Abdel Wahab Abdallah, ministre conseiller à la présidence qui avait la haute main sur l'information.

Quant au patron de la chaîne privée Hannibal, il est accusé d'avoir «tenté de faire avorter la révolution des jeunes, semer le désordre, inciter à la désobéissance et à la diffusion de fausses informations dans le but de créer un vide constitutionnel et de saboter la stabilité dans le pays et le pousser vers le chaos», selon une source officielle citée par la TAP.

Les membres de la famille de Zine el-Abidine Ben Ali arrivés récemment à Montréal possèdent le statut de résident permanent, ce qui leur confère presque tous les mêmes droits qu'un citoyen canadien, a affirmé hier le ministre de l'Immigration, Jason Kenney. Son ministère avait souligné samedi à l'AFP que «M. Ben Ali, les membres destitués de l'ancien régime tunisien et leurs proches n'étaient pas les bienvenus au Canada».

Samedi, Le Journal de Québec a annoncé l'arrivée d'un des frères de la femme de Ben Ali, sa femme, leurs deux enfants et leur gouvernante. Selon Radio-Canada, citant hier des sources gouvernementales, le jet privé qui a déposé les Ben Ali à Montréal-Trudeau transportait de cinq à 10 membres du clan. Il aurait atterri jeudi, et non vendredi.