Le Premier ministre tunisien Mohammed Ghannouchi a annoncé lundi à Tunis la formation d'un «gouvernement d'union nationale» marqué par l'entrée de trois chefs de l'opposition au régime du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, mais dans lequel l'équipe sortante conserve les postes clés.

Le chef du gouvernement a annoncé la légalisation de tous les partis politiques qui le demanderont et prolongé le délai prévu pour l'organisation des prochaines élections. Deux importantes formations, le parti islamiste Ennahda et le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), sont notamment interdits.

M. Ghannouchi a également annoncé à la presse des mesures d'ouverture démocratique: «liberté totale d'information», libération de tous les prisonniers d'opinion, et levée de l'interdiction d'activité des organisations de défense des droits de l'homme.

Le nouvel exécutif a été formé trois jours après la chute du régime de Ben Ali, contraint à l'exil par un mois de révolte populaire, la «révolution du jasmin», au cours de laquelle, selon le gouvernement, 78 personnes ont été tuées et 94 autres blessées.

Le précédent bilan officiel annoncé le 11 janvier, avant le changement de pouvoir, était de 21 morts. Une Ong avait annoncé la semaine dernière que ces violences avaient fait au moins 66 morts.

Le nouveau gouvernement sera chargé de gérer la transition, de préparer les prochaines élections présidentielle et législative. Constitutionnellement, le délai prévu pour l'organisation est de deux mois.

Dans une déclaration à la chaîne de télévision Al-Arabiya, M. Ghannouchi a estimé que c'était insuffisant et annoncé que les élections générales devraient se tenir dans «six mois au plus tard».

Dernier Premier ministre de M. Ben Ali, M. Ghannouchi a expliqué qu'il avait formé «un gouvernement qui intègre les différents partis et les composantes de la société civile».

Parmi les 24 ministres et ministres délégués du nouveau cabinet figurent trois chefs de partis politiques de l'ancienne opposition au régime du président Ben Ali, qui a fui vers l'Arabie saoudite après 23 ans de règne sans partage.

Il s'agit de Ahmed Néjib Chebbi, chef historique du Parti démocratique progressiste (PDP, formation d'opposition légale la plus radicale), Ahmed Ibrahim, chef du mouvement Ettajdid (Renaissance, ex-communiste) et Mustapha Ben Jaafar qui dirige le Front démocratique pour le travail et les libertés (FDTL).

Outre le Premier Ministre, sept membres de l'ancien régime sont reconduits, notamment aux postes régaliens de l'Intérieur, Ahmed Friaa, de la Défense, Ridha Grira, des Affaires étrangères, Kamel Morjane, et des Finances, Ridha Chalghoum.

Des représentants de la société civile figurent aussi dans ce gouvernement, dont la composition va être scrutée à la loupe par les Tunisiens, qui n'entendent pas se faire confisquer leur révolution. Font notamment leur entrée un cyberdissident très actif, Slim Amamou, emprisonné pendant la «révolution du jasmin», et la cinéaste Moufida Tlatli, nommée à la Culture.

De Paris, l'opposant historique Moncef Marzouki a déjà dénoncé le nouveau gouvernement comme une «mascarade», fustigeant une «fausse ouverture».

A peine formé, le gouvernement de transition a limogé le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Thoufi Baccar.

Auparavant, des centaines de personnes avaient manifesté à Tunis et en province, pour demander l'exclusion du nouveau gouvernement des hommes politiques liés à l'ancien régime et à son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), dont M. Ghannouchi.

«La révolution continue! RCD dehors!», ont scandé plusieurs centaines de manifestants, dispersés par la police. Des rassemblements identiques ont eu lieu à Sidi Bouzid (centre-ouest) et à Regueb. C'est à Sidi Bouzid qu'un jeune chômeur de 26 ans s'était immolé par le feu le 17 décembre, déclenchant le mouvement de révolte.

Dans le centre de Tunis, les commerces ouverts étaient rares en dépit de l'arrêt des échanges entre francs-tireurs et forces de sécurité.

Dans une déclaration à la télévision nationale, le ministre de l'Intèrieur, Ahmed Friaa a annoncé que les troubles qui ont secoué pendant un mois la Tunisie ont coûté 3 milliards de dinars (1,6 milliard d'euros).

La France a annoncé qu'elle se tenait «à la disposition des autorités constitutionnelles tunisiennes» pour examiner le sort des biens immobiliers en France de Ben Ali et de son entourage.

Sa seconde épouse, Leïla Trabelsi, et la famille de cette dernière, se sont accaparé les richesses du pays en utilisant l'appareil d'Etat, selon de nombreux observateurs.

Le photographe franco-allemand de l'agence EPA, Mebrouk Dolega, 32 ans, grièvement blessé vendredi à Tunis, est décédé lundi. Il couvrait les manifestations à Tunis quand il a été atteint par un tir de grenade lacrymogène tirée «à bout portant» par un policier, selon un de ses confrères, Julien Muguet.