Les nouveaux dirigeants tunisiens, confrontés aux pillages et aux violences, tentaient samedi de reprendre le contrôle de la situation en Tunisie au bord du chaos après la fuite de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali en Arabie saoudite.

Dans Tunis et sa banlieue, où plusieurs quartiers avaient été soumis vendredi soir à la loi des pilleurs, souvent identifiés par plusieurs témoins comme étant des partisans et des policiers du régime de M. Ben Ali, des habitants tentaient samedi de s'organiser en comités de défense.

Le principal syndicat du pays, l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a appelé samedi soir sur la télévision nationale à la formation de comités de vigiles «pour que les gens puissent se défendre eux-mêmes».

Imed Trabelsi, neveu de l'épouse de l'ex-président, a succombé vendredi à l'hôpital militaire de Tunis après avoir été poignardé, a indiqué samedi à l'AFP un membre du personnel de l'établissement, sans préciser les circonstances dans lesquelles il avait été blessé.

Juste après l'entrée en vigueur du couvre-feu, le centre de Tunis était totalement désert. Seule la police était visible.

Par ailleurs, un manque de vivres commence à se faire sentir à Tunis. De nombreux citoyens ont appelé l'armée à organiser la réouverture de boulangeries et d'épiceries, les restrictions à la circulation et le pillage de nombreux dépôts ayant désorganisé les circuits de distribution.

Sur le front politique, le Conseil constitutionnel a proclamé samedi «la vacance définitive du pouvoir» et la nomination de Foued Mebazaa, président du Parlement, au poste de président de la République par intérim. Ce dernier a ensuite prêté serment.

Ce nouveau retournement de situation, fondé sur l'article 57 de la Constitution, est intervenu à la demande de Mohammed Ghannouchi, Premier ministre sortant, nommé vendredi président par intérim après la fuite de M. Ben Ali et qui ne sera resté que 24 heures à ce poste.

L'article 57 prévoit des élections présidentielle et législatives dans un délai de 60 jours.

M. Mebazaa a affirmé que «tous les Tunisiens sans exception et sans exclusion» seraient associés au processus politique et a promis de consacrer le pluralisme et la démocratie.

Il a également annoncé que M. Ghannouchi était toujours chargé de former un nouveau gouvernement, ajoutant que «l'intérêt supérieur du pays nécessite un gouvernement d'union nationale».

M. Ghannouchi a commencé dans l'après-midi à sonder les partis et les représentants de la société civile sur les réformes politiques visant à rompre avec le système de M. Ben Ali.

Un large éventail de personnalités ont défilé au Palais du gouvernement, a déclaré à l'AFP Mustapha Ben Jaffar, chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés.

À Londres où il vit en exil, le chef du parti islamiste tunisien Ennhadha, Rached Ghannouchi, a déclaré préparer son retour au pays et être favorable à la formation d'un gouvernement d'union nationale. «L'intifada tunisienne a réussi à faire tomber la dictature», a-t-il déclaré à l'AFP.

Sur le terrain, les Tunisois ont découvert dans les premières heures de la journée un spectacle de désolation: voitures volées abandonnées dans les rues, boutiques et résidences de luxe incendiées, propriétés de la famille de Ben Ali et de son épouse Leïla particulièrement ciblées, destruction de portraits de l'ex-président.

Et le réflexe de peur, hérité de 23 années de suppression des libertés, paralyse encore de nombreux Tunisiens pour témoigner à visage découvert devant la presse.

M. Ben Ali, 74 ans, s'est enfui vendredi après un mois de manifestations sans précédent contre son régime qui ont fait des dizaines de morts, tombés sous les balles des forces de l'ordre.

Les proches de l'ex-président présents en France n'ont «pas vocation à rester» sur le sol français et vont «le quitter», a déclaré à la radio France Info le porte-parole du gouvernement français, François Baroin.

Des proches de M. Ben Ali, dont sa fille Nesrine, séjournent en France depuis jeudi.

La ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, s'est prononcée pour l'organisation en Tunisie d'«élections libres dans les meilleurs délais», dans un entretien au Journal du Dimanche.

Seul parmi les responsables arabes, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a apporté un soutien appuyé au président déchu, estimant qu'il était «toujours le président légal de la Tunisie».

Dans un discours à l'adresse du peuple tunisien diffusé par les médias d'État libyens, le colonel Kadhafi a déclaré: «Vous avez subi une grande perte», «Il n'y a pas mieux que Zine pour gouverner la Tunisie».