Si Pyongyang a finalement accepté de reprendre langue avec Séoul, c'est peut-être aussi par crainte que les États-Unis mettent finalement à exécution les menaces de guerre de l'imprévisible Donald Trump, avancent jeudi certains experts du dossier coréen.

Après deux années de montée des tensions sur la péninsule, la situation s'est brusquement apaisée avec les premières discussions intercoréennes mardi, et la décision de Pyongyang d'envoyer le mois prochain une délégation aux jeux Olympiques de Pyeongchang, en Corée du Sud.

Force est de reconnaître qu'au cours de ces deux années, la Corée du Nord a fait des progrès certains pour atteindre son objectif, qui est d'être en mesure de menacer les États-Unis du feu nucléaire.

On ignore si elle est effectivement capable d'envoyer une bombe atomique sur le territoire continental américain, mais ses progrès technologiques et militaires ont contribué à renforcer sa position diplomatique dans l'hypothèse où des négociations débuteraient.

La Corée du Nord «peut affronter n'importe quelle menace nucléaire des États-Unis, elle dispose d'une dissuasion forte qui est capable d'empêcher les États-Unis de jouer avec le feu», a encore claironné Kim Jong-Un lors de son adresse du Nouvel An.

Mais certains experts pensent que, quelles que soient les capacités réelles de la Corée du Nord et les certitudes claironnées par ses services de propagande, la rhétorique belliqueuse du président américain Donald Trump a fini par impressionner les élites du régime nord-coréen. Inquiètes de la possibilité d'une guerre, elles auraient cherché à faire retomber les tensions.

Stratégie du «fou» de Nixon

Alexander Vorontsov, directeur de l'Institut des études orientales de l'Académie russe des sciences, était en fin d'année dernière à Pyongyang pour des réunions.

Il s'y est entretenu avec des responsables nord-coréens qui «craignaient que les États-Unis ne soient déjà en train de préparer le champ de bataille pour une opération militaire contre le Nord», a-t-il écrit mercredi sur le site respecté 38North.

Ils semblaient «sincèrement étonnés» que le Sud ne soit pas conscient que M. Trump avançait résolument vers une guerre, a-t-il ajouté. Ils assuraient que Pyongyang «ne se faisait aucune illusion» à cet égard.

L'inquiétude était de plus en plus grande à Pyongyang, selon M. Vorontsov, qu'une attaque se préparait, et que «l'heure H n'était plus très loin».

Les responsables de l'administration Trump ont maintes fois répété que l'option militaire était sur la table et les États-Unis ont participé en 2017 à de nombreuses manoeuvres conjointes avec le Japon et la Corée du Sud, déployant même simultanément trois porte-avions dans la zone.

Depuis son arrivée au pouvoir, le locataire de la Maison-Blanche a insulté le leader nord-coréen en le traitant notamment de «petit gros», a promis de déchainer «le feu et la colère» sur le régime ou encore publiquement contredit son secrétaire d'État Rex Tillerson sur la possibilité de contacts directs avec Pyongyang et multiplié les messages cryptiques («Nous ferons ce que nous devons faire»).

Au point que certains ont évoqué la stratégie diplomatique dite «du fou» de Richard Nixon, qui consistait à pousser l'ennemi à des concessions en faisant croire par ses actions qu'on versait dans l'irresponsabilité totale.

«Peur considérable»

À l'Assemblée générale de l'ONU, M. Trump avait même menacé de «détruire totalement» le régime nord-coréen. Des propos tenus par un «gâteux (...) malade mental», estimait M. Kim.

«Jamais auparavant deux dirigeants à la tête d'arsenaux nucléaires n'avaient évoqué aussi clairement un affrontement», avait alors écrit un éditorialiste du New Yorker.

Pour Go Myong-Hyun, de l'Institut Asan des études politiques, la Maison-Blanche a «instillé à Pyongyang une peur considérable». Les Nord-Coréens sont «venus aux discussions avec le Sud pour retrouver un peu d'espace stratégique».

Mercredi, le président sud-coréen Moon Jae-In a remercié son homologue américain pour ses efforts, saluant son rôle «très important».

Mais l'ancien secrétaire d'État américain John Kerry a estimé de son côté que les tweets du président créaient du «chaos politique», et beaucoup d'experts pensent que sur le long terme l'attitude de M. Trump sera contre-productive.

Le président américain a «parlé à l'État le plus dangereux au monde comme un gamin insupportable», écrivait ces derniers jours Robert Kelly, de l'Université nationale de Busan.

«Franchement, Trump a tout simplement fait empirer les choses et sa rhétorique a certainement convaincu l'élite du régime de Kim que le programme nucléaire était judicieux.»