De l'extérieur, c'est un immeuble un peu triste de Pékin. Mais à l'intérieur, le minuscule logement de Yang Zhizhu a des airs de maison enchantée. Les murs sont couverts de bricolages multicolores, de princesses et de papillons. Un vrai local de garderie, que M. Yang habite avec sa femme et ses deux heureuses petites filles.

Le décor rose bonbon n'empêche pas l'homme de 47 ans de tenir des propos extrêmement durs sur ce qui est devenu sa bête noire, le combat de sa vie : la politique de l'enfant unique, en vigueur depuis 34 ans en Chine.

« Il n'y a rien de plus terrifiant que cette politique, dénonce-t-il avec vigueur. On persécute les plus vulnérables, les femmes enceintes et les bébés ! »

La naissance de sa cadette, Ruonan, en 2009, lui a coûté son emploi de professeur. Pour protester, il a multiplié les coups d'éclat, allant même jusqu'à se vendre en pleine rue pour financer l'amende de 40 000 $ que lui avaient imposée les agents de la planification familiale.

Pour M. Yang, il est clair que la politique de l'enfant unique, combinée à la préférence traditionnelle des Chinois pour les garçons, a eu un impact dévastateur pour les fillettes de Chine, un pays qui détient le triste record du plus grand déséquilibre entre les sexes de la planète. « La sexo-sélection est un phénomène complexe et multifactoriel, dit M. Yang. Les gens préfèrent les garçons, et certains en veulent absolument. »

Il y a une raison pratique à cela. Les parents veulent s'assurer d'un soutien pendant leurs vieux jours. Après le mariage, les filles quittent leur famille pour se joindre à celle de leur mari. Elles prennent soin de leurs beaux-parents. Avoir un fils, c'est s'offrir une pension de vieillesse dans ce pays où le filet social est quasi inexistant.

Limités par la loi à n'avoir qu'un seul enfant, les parents sont forcés de considérer leur progéniture de façon sélective. « La politique exerce une énorme pression, dit M. Yang. Les amendes coûtent cher et on risque de perdre son emploi. Résultat, il est presque impossible d'élever un enfant supplémentaire, à moins de mendier. Alors, si les gens veulent absolument un garçon, comment faire ? Ils ne peuvent qu'avorter de la fille ! »

Dangereux déséquilibre

« Dans l'écriture chinoise, le bien est représenté par deux caractères réunis : celui du fils et celui de la fille. C'est ancré dans notre culture traditionnelle, jusqu'à nos jours. Le bien pour nous, c'est avoir les deux. »

Touchante anecdote, mais Zhan Zhongle ne se fait pas d'illusions. Professeur de droit à l'Université de Pékin, il sait fort bien qu'un important déséquilibre entre les sexes menace, à long terme, la stabilité de son pays.

L'an dernier, 118 garçons sont nés pour 100 filles en Chine. Pour arriver à un tel résultat, des centaines de milliers de parents ont dû se débarrasser de leur fille, admet le professeur Zhan.

Pékin tente de ramener l'équilibre. En campagne, les couples ont droit à un deuxième enfant si le premier est une fille. Sachant qu'ils ont une deuxième chance, les parents seraient ainsi moins tentés de sacrifier leur première fille au profit d'un garçon.

Des avortements forcés

La photo est insoutenable. Feng Jianmei est étendue sur son lit d'hôpital, les cheveux en broussailles, le foetus de sa fille ensanglantée à ses côtés. Diffusé l'été dernier sur Weibo, le Twitter chinois, le cliché a été partagé des millions de fois. Il a fait scandale au pays.

Feng Jianmei était enceinte de sept mois quand des agents de la planification familiale l'ont traînée hors de chez elle. La jeune femme, déjà mère d'une fille de 5 ans, a été emmenée à l'hôpital sous bonne garde. On lui a injecté un produit chimique dans le ventre pour tuer le foetus, avant de provoquer l'accouchement.

Jamais les avortements forcés n'avaient soulevé une telle indignation publique. Pour la première fois, des intellectuels et des personnalités ont ouvertement dénoncé les aspects les plus sombres de la politique de l'enfant unique.

Parmi eux, le professeur Zhan. Il fait partie d'une vingtaine de juristes, démographes et économistes chinois qui, dans la foulée du scandale, ont demandé au gouvernement d'entamer un processus de révision de la politique nationale.

«Nous pensons que l'État devrait laisser les couples décider du nombre d'enfants qu'ils veulent, au moment où ils les veulent », explique M. Zhan.

Officiellement, Pékin se félicite du fait que sa politique ait empêché 400 millions de naissances. Mais, confronté à ses ratés, le gouvernement semble vouloir l'assouplir. En mars, la toute puissante Commission de la planification familiale a été fusionnée au ministère de la Santé. Les observateurs y ont vu l'admission que le contrôle des naissances ne requiert plus une surveillance aussi stricte qu'auparavant.

« Les choses changent, dit M. Zhan. Il y a 20 ans, il aurait été inimaginable que la presse parle de l'affaire Feng Jianmei. C'est un grand progrès. »