Quand un député d'arrière-ban a voulu condamner la sélection prénatale en fonction du sexe à la Chambre des communes, en mars, tout le monde y a vu une nouvelle manoeuvre de la droite conservatrice pour relancer le débat sur l'avortement au Canada.

L'affaire a dérapé. Les accusations de mauvaise foi ont fusé de toutes parts, enterrant complètement l'enjeu de la sexo-sélection. Le phénomène n'en est pas moins réel. Et alarmant.

Selon les Nations unies, 200 millions de filles manquent aujourd'hui à l'appel dans le monde. En Chine et dans le nord de l'Inde, près de 120 garçons naissent pour 100 filles. Sans ces deux géants asiatiques, la planète serait majoritairement féminine. Les deux pays éliminent à eux seuls plus de fillettes et de foetus féminins que le nombre de filles qui naissent chaque année dans tous les États-Unis.

Pour ce grand reportage, nous vous entraînerons des campagnes du Pendjab à la colline parlementaire d'Ottawa, en passant par New Delhi, Pékin et Montréal.

Au cours de notre périple, nous avons récolté des dizaines d'histoires d'horreur et de courage. En Inde, nous avons rencontré des femmes qui ont résisté aux pressions de leur belle-famille en refusant de se faire avorter - et qui en ont payé le prix. En Chine, nous avons visité des « villages de célibataires », où les conséquences de la sexo-sélection se font durement ressentir.

Bientôt, près de 40 millions de jeunes Chinois seront incapables de se trouver une épouse. Pékin craint un chaos social. New Delhi aussi. En Inde, déjà, le meilleur indicateur d'un taux de criminalité élevé n'est plus la faiblesse du revenu, mais l'ampleur du déséquilibre entre les sexes.

Les militants pro-vie ne s'y sont pas trompés. Aux États-Unis comme au Canada, ils récupèrent l'enjeu, accusant les féministes d'hypocrisie : comment peuvent-elles ignorer cette discrimination extrême envers les filles au nom du droit - sans limites -  des femmes à disposer de leur propre corps ?

Et, si l'on pousse la logique, devrait-on interdire aux femmes d'avoir recours à l'avortement quand leur seule motivation est de ne pas porter un enfant du « bon » sexe ?

La question est lancée. Elle n'a pas fini de faire des vagues.