Poutine a gagné la bataille. L'opposition russe, en pleine ébullition depuis trois mois, n'a pas réussi à empêcher son retour au Kremlin lors de la présidentielle du 4 mars. Mais elle se prépare pour une guerre au long cours. Maintenant que l'échéance électorale est passée, l'opposition devra relever plusieurs défis pour que le réveil citoyen ne demeure pas qu'un feu de paille. En voici quatre.

Maintenir la pression

Les grandes manifestations qui ont suivi les législatives de décembre - frauduleuses selon l'opposition - n'ont jamais menacé directement la survie du régime. Mais la pression de la rue aura tout de même forcé le président Dmitri Medvedev à annoncer des réformes politiques. Actuellement en discussion à la Douma (Chambre basse), ces mesures devraient en théorie permettre aux forces de l'opposition d'intégrer la vie politique «officielle» du pays. Or, maintenant que la rue se calme - ils étaient à peine 20 000 lors du dernier rassemblement de samedi contre plus de 100 000 il y a deux mois -, les mécontents devront trouver d'autres moyens de contraindre le pouvoir à mettre en application les réformes annoncées.

Consolider la société civile

Le 4 mars, des dizaines de milliers de citoyens observateurs ont passé la journée dans les bureaux de scrutin du pays pour empêcher - ou du moins recenser - les fraudes électorales qu'ils accusaient le pouvoir d'orchestrer. «La vague de protestation prendra une pause, mais cette armée de citoyens, prêts à se mobiliser, ne disparaîtra pas. Lorsque le pays aura besoin d'eux, ils seront là», croit le journaliste Sergueï Parkhomenko, l'un des organisateurs. Au cours des prochains mois, l'opposition devra donc capitaliser sur ce potentiel d'activité citoyenne pour se consolider, poursuit la chroniqueuse Ioulia Latynina dans Novaïa Gazeta. En mettant sur pied une multitude d'associations, les anti-Poutine pourront compter sur une société civile forte pour défendre leurs droits, suggère Latynina.

Intégrer le système politique

Si les réformes de Medvedev deviennent réalité, les règles assouplies d'enregistrement des partis politiques et des candidats présidentiels indépendants devraient en théorie permettre à l'opposition d'intégrer le système politique officiel. Déjà, les forces libérales et progressistes songent à des alliances possibles. À droite, le milliardaire et candidat présidentiel Mikhaïl Prokhorov, l'ex-ministre des Finances Alexeï Koudrine et des représentants des partis Iabloko et Parnas ont commencé à imaginer un nouveau parti libéral. À gauche, des députés du parti Russie juste - considéré comme une créature du Kremlin - songent à faire dissension et à s'unir avec les factions progressistes du mouvement d'opposition, voire avec des communistes désabusés par la docilité de leur parti à l'égard du pouvoir. Or, pour que ces nouveaux partis puissent exister, il faudra également compter sur le relâchement du contrôle du Kremlin sur la commission électorale et le système judiciaire.

Vaincre la propagande

«Nous allons créer une machine de propagande universelle qui ne fonctionnera pas moins bien que la Première Chaîne [d'État] et qui dira la vérité!», a annoncé au lendemain de la présidentielle le blogueur Alexeï Navalny, figure montante de l'opposition. Navalny a bien compris que même si les informations critiques du régime sont amplement diffusées sur l'internet, dans plusieurs journaux et certaines radios, la majorité des Russes continue de s'informer à la télévision d'État. Et sur ces chaînes étroitement contrôlées par le Kremlin, le message est clair: le seul leader national est Poutine et l'opposition agit au nom de forces étrangères qui veulent mettre à genoux la Russie. Le président Medvedev a annoncé la création d'une télévision publique, mais les opposants doutent qu'elle jouira d'une réelle indépendance. Navalny propose donc un système décentralisé où chaque opposant agirait comme une machine de propagande. Chacun informerait sa collectivité sur les malversations du régime par les moyens qu'il juge les plus efficaces: coup de téléphone hebdomadaire à sa grand-mère, autocollant dans l'ascenseur de son immeuble, etc. «La seule chose qui nous limite, c'est notre degré de créativité», estime Navalny.

Photo: AFP

Le premier ministre et président élu Vladimir Poutine.