Si la vague de contestation sans précédent qui frappe le régime de Vladimir Poutine ne semble pas en voie d'empêcher sa victoire à la présidentielle du 4 mars, elle aura au moins provoqué un vaste élan de créativité chez les opposants russes. La colère les inspire. Entre la rue et l'internet, artistes et simples citoyens rivalisent d'imagination pour faire connaître leur désaccord avec le pouvoir. En voici quatre exemples.

Rallye automobile

Les automobilistes moscovites comptent parmi les manifestants antirégime les plus actifs. Pas étonnant, compte tenu de l'incapacité du pouvoir à enrayer les embouteillages qui congestionnent presque en permanence la capitale.

À deux reprises depuis la fin du mois de janvier, les automobilistes ont donc organisé des rallyes sur le périphérique du Jardin, qui délimite le centre-ville de Moscou. L'objectif: créer... des embouteillages! Ils ont profité d'une brèche dans la loi, qui n'exige pas de permission particulière pour des manifestations motorisées. Par deux fois, environ 2000 voitures arborant le ruban blanc - symbole de la contestation - et des slogans antipouvoir ont ainsi congestionné cette large artère, sans que les autorités ne puissent agir. «C'est la première fois que je me sens humain dans un embouteillage», a écrit sur Twitter un participant lors du dernier événement.

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Slogans et pancartes

La veille de la grande manifestation d'opposants à Vladimir Poutine, le 24 décembre, Nikolaï Poïarkov a réuni quelques amis. Toute la soirée, ce professeur de biologie et d'autres apprentis opposants ont confectionné les pancartes qu'ils utiliseraient le lendemain. Leur source d'inspiration: une déclaration du premier ministre Poutine, qui avait comparé les manifestants aux singes bandar-log, le «peuple sans loi» du Livre de la jungle. Nikolaï et sa bande n'étaient pas seuls ce soir-là à se creuser les méninges pour tourner en ridicule l'homme fort du pays. En fait, les manifestations de l'opposition s ont désormais des événements aussi politiques que culturels. Tellement que le centre de design ArtPlay a demandé cette semaine aux opposants de leur prêter quelques jours leurs affiches, le temps d'une exposition. Mikhaïl Ratgauz, conservateur de l'exposition, explique que l'objectif est de faire une «photographie momentanée de l'état actuel de [la] société et de la conscience populaire». Selon lui, après le scrutin du 4 mars, l'atmosphère euphorique pourrait laisser place à un climat plus agressif. D'où l'urgence de capturer ce foisonnement artistique avant qu'il ne disparaisse.

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Hymnes anti-Poutine

Le 24 septembre, Vladimir Poutine a annoncé qu'il comptait retourner à la présidence. Quelques semaines plus tard, Rabfak, groupe rock inconnu, a lancé un clip amateur sur YouTube. «Notre asile de fous vote pour Poutine/et notre asile de fous sera heureux avec Poutine», chantent ces quinquagénaires, sur des images de Russes dansant comme des hystériques. La chanson a rejoint la réalité lorsque, à l'issue des législatives, les observateurs ont remarqué que le parti de Vladimir Poutine avait obtenu des résultats supérieurs à 90% dans plusieurs hôpitaux psychiatriques...

L'autre hymne anti-Poutine de l'heure est venu du ciel. Les membres retraités d'un commando parachutiste de Moscou, anciens partisans du «leader national», ont été indignés par sa volonté de s'accrocher au pouvoir. En quelques heures, ils ont écrit Les parachutistes de la liberté, qu'ils ont ensuite été invités à interpréter lors d'une manifestation.

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Jouets militants

En province, les manifestations de l'opposition demeurent beaucoup plus restreintes que celles dans la capitale. Les pressions des autorités y sont généralement plus fortes et le taux de pénétration de l'internet - au coeur de l'organisation des rassemblements - y est plus faible.

D'où l'idée qu'ont eue des militants de Barnaoul, en Sibérie, d'organiser une manifestation... de jouets! Une centaine de figurines Kinder Suprise, autant de bonshommes LEGO, une vingtaine de petits soldats, 15 peluches et 10 petites voitures ont ainsi été «recrutés» pour brandir des pancartes anti-Poutine.

Mais encore plus étonnante a été la réaction du pouvoir local. La mairie de Barnaoul a interdit tout autre rassemblement du genre sous prétexte que les figurines... n'étaient «pas des citoyens de la Fédération de Russie».

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